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23 mai 2016 1 23 /05 /mai /2016 10:14

On parle beaucoup en France, ces derniers temps, de budgets participatifs, d'abord quelques petites villes, puis Paris l'année dernière, et ces jours-ci Rennes, une ville pour laquelle la presse semble avoir redécouvert cette pratique. Mais de quoi parle-t-on ? de villes "de gauche" qui mettent 5% de leur budget d'investissement pour une sorte d'"appel à projets" destiné à susciter des initiatives de la part d'habitants ou plutôt de groupes d'habitants, associatifs ou non. Ces projets sont rassemblés, étudiés et soumis à une commission, composée en partie d'habitants, qui décide de les approuver ou de les rejeter, le tout dans la limite du budget disponible.

D'après les média, ce serait un tournant dans les pratiques politiques et administratives, la preuve que maintenant les pouvoirs locaux reconnaissent la nécessité d'associer la population aux décisions qui les concernent.

Le problème, il me semble, est que cela va exactement en sens inverse. Il est vrai qu'il y a une demande, et un besoin, de participation des citoyens, mais le budget participatif "à la française" est une manière de donner un os à ronger à quelques milliers d'électeurs "actifs" sur des sujets qui ne risquent pas de remettre en cause la centralisation des décisions essentielles sur la vie des gens, sur l'urbanisme, sur l'environnement et en général sur l'avenir de la ville. La micro-participation est un excellent moyen d'écarter la participation tout court.

Revenons un peu en arrière. Cette idée de budget participatif a été présentée en 1988, à Porto Alegre, au Brésil, comme une promesse électorale du Parti des Travailleurs, le célèbre PT, qui était alors le fruit, pur et dur, de vingt ans de résistance à la dictature militaire. Une fois élu, le nouveau maire, Olivio Dutra, et ses successeurs, mirent effectivement en place un budget participatif. Il s'agissait de déléguer à la population de cette ville de 1,3 million d'habitants la quasi totalité de son budget d'investissement. Les habitants eux-mêmes, selon un processus démocratique d'émergence de projets et de définition de priorités au niveau des arrondissements et des quartiers, définissaient chaque année le budget de leur ville, compte tenu d'un programme global pluriannuel délibéré lors d'un Congrès de la Ville ouvert à tous les citoyens, puis précisé lors de Groupes thématiques.

Il faut lire le petit livre qui présente le budget participatif de Porto Alegre, traduit en français:

Tarso Genro et Ubiratan de Souza, Quand les habitants gèrent vraiment leur ville, Ed. Charles Léopold Mayer, 1998, 103p.

Le Budget participatif a ensuite envahi de très nombreuses collectivités brésiliennes et a essaimé ailleurs en Amérique Latine, souvent de façon moins rigoureuse, mais selon les mêmes principes généraux.

La méthode française, telle qu'on la promeut sous le même nom à Paris ou à Rennes, n'a rien à voir. Elle est plutôt une extension très médiatisée des programmes innovants de financement d'initiatives d'habitants (Nord-Pas de Calais) ou des jeunes (Rhône-Alpes), issus dans les années 90 de la Politique de la Ville et qui ont connu un vrai succès pour favoriser la prise d'initiatives de la part d'habitants plus habitués à être "administrés", ou même "assistés". C'est déjà d'ailleurs un progrès à saluer.

Bien entendu, la France de 2016 n'est pas le Brésil de 1990 et il serait probablement illusoire de copier un processus aussi éloigné de nos habitudes, mais il ne faut pas prétendre que les citoyens prennent le pouvoir parce que des municipalités leur octroient 5% de leurs budgets d'investissement pour des projets qui ne remettent pas en cause les plans et les programmes d'aménagement et de développement urbain.

Pourra-t-on un jour proposer aux citoyens (et pas seulement aux électeurs) de décider collectivement de la hauteur des nouvelles constructions, de la circulation en ville, ou de l'utilité d'un tramway ? Ce serait pourtant une excellente école de démocratie.

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