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22 novembre 2022 2 22 /11 /novembre /2022 10:11

La déclaration de Santiago est restée dans la mémoire des professionnels du musée et du patrimoine comme ayant mis en avant la notion de "musée intégral", ou intégré dans la société, non pas la Société en général, mais  bien la société à laquelle appartient l'institution, sa collection, ses moyens humains et matériels. C'est à dire que le musée, ou toute structure publique et privée de gestion du patrimoine commun, est, devrait être ou devrait devenir un acteur du territoire au service de la communauté.

Mais la société change et se transforme, avec le temps et le passage des générations. Ses besoins, ses demandes, ses goûts évoluent naturellement. Des évènements prévisibles ou imprévus, intérieurs ou extérieurs à la communauté, changent les données culturelles, sociales, climatiques, économiques qui doivent être prises en compte dans les décisions d'intérêt général. Par conséquent, les politiques du patrimoine (naturel comme culturel) et toutes les institutions qui en dépendent doivent changer et se transformer pour accompagner au plus près la société dans la durée. Sinon ces politiques et ces institutions risquent de perdre à la fois leur pertinence et leur légitimité.

Or, depuis cinquante ans, si l'esprit de Santiago demeure vivant et pertinent, le monde et nos sociétés ont beaucoup changé et des changements encore plus considérables sont à venir. Sans vouloir me lancer dans une analyse socio-politique pour laquelle je ne suis pas compétent, je voudrais commenter rapidement trois termes qui me paraissent indiscutables et incontournables, tant pour refléter ce qui s'est passé depuis Santiago que pour être prêts à nous adapter à ce qui va nous arriver, quels que soient notre pays, notre culture, nos choix stratégiques, ou l'avenir de nos territoires.

Ces trois termes sont les suivants: globalisation, territorialisation, patrimonialisation.

 

Globalisation

 

La culture, qu'elle soit élitiste ou populaire, suit des modèles plus ou moins internationaux, inspirés par les modes et les pratiques des pays et des populations qui ont atteint un haut niveau de prospérité, de confort, de qualité de vie. Ce haut niveau devient un besoin, voire une obsession, qu'il s'agisse de loisirs, de consommation, de mobilité. Des valeurs dites universelles (droits humains, démocratie, liberté, etc.) sont promues par la plupart des pays et des organisations internationales, gouvernementales ou non, qui représentent un consensus mondial, même lorsqu’elles sont contestées par certains pays ou certains régimes.

Le patrimoine culturel et naturel, matériel et immatériel, étiqueté national et même mondial, est soit respecté et préservé comme un capital inaliénable de l'humanité, soit attaqué pour des raisons idéologiques ou religieuses, soit dispersé commercialement au profit des collectionneurs publics et privés. Mais là encore, il y a consensus sur la valeur patrimoine, avec son double sens de valeur culturelle et de valeur matérielle. Cette valeur est tellement reconnue qu'elle fait l'objet, depuis longtemps et semble-t-il de plus en plus, d'un marché également globalisé d'échantillons minéraux, d'objets archéologiques, d’œuvres d'art, alimenté par des fouilles clandestines, des conflits locaux et des vols et encouragé par la passion ou l'obsession des collectionneurs, qu'ils soient amateurs, spéculateurs ou malheureusement responsables de musées.

Les flux touristiques, devenus une caractéristique et une nécessité des sociétés d'abondance et des classes riches et moyennes des sociétés "émergentes", exigent toujours plus de conditions d'accès et de jouissance, de services et de confort selon des normes et des environnements identiques partout. Il sont aussi, pour de nombreux pays riches en patrimoine, une ressource économique globale qui peut tendre à remplacer d'autres types d'activités traditionnelles ou simplement moins rémunératrices.

La pandémie actuelle, elle aussi globale, et ses conséquences pour les relations entre les humains, la multiplication et la poursuite de conflits, les crises qui se succèdent, l'impact des changements climatiques sur les conditions de vie de millions d’individus ont créé un sentiment général (et global) d'insécurité et de précarité qui favorise non seulement la recherche d'un avenir différent et de technologies efficaces, mais aussi un retour au passé, notamment par un ancrage rassurant dans le patrimoine personnel et collectif.

 

Territorialisation

 

Le global, sous ces diverses formes, échappe à la compréhension et au pouvoir d'agir de la plupart d'entre nous et même des communautés auxquelles nous appartenons, même s'il conditionne ou influence malgré nous notre mode de  vie. En réalité, et Santiago l'avait bien compris et exprimé, c'est le territoire, ou plutôt les territoires auxquels nous appartenons que nous pouvons maîtriser collectivement et c'est à son niveau et à son échelle que la plupart d'entre nous peuvent avoir un rôle actif, une utilité sociale.

Le territoire est le lieu de la vie sociale et de l'action collective/communautaire, qu'elles soient de la famille, du village ou du quartier, de l'entreprise, de l'association ou du syndicat, de l'école. C'est une réalité multiple et multiforme, qui pratique une culture vivante, évolutive, ouverte sur l'extérieur mais consciente de ses racines et capable de créativité.

Le territoire contient une mémoire collective et des mémoires particulières, elles-mêmes vivantes et susceptibles d'oublis et de choix, ou même de changements d'interprétation. Il contient un patrimoine, aussi vivant que la culture locale, c'est un "commun", une propriété collective.

C'est le cadre du développement local, où toutes les énergies et les ressources disponibles peuvent être inventoriées et mobilisées selon des stratégies et des programmes que l'on veut soutenables, c'est à dire à la fois dynamiques et raisonnés, associant et combinant les dimensions environnementale, sociale et économique de la vie des citoyens, qui sont en même temps héritiers, usagers et parties-prenantes de leur(s) territoire(s).

 

Patrimonialisation

 

Pendant ces cinquante années et même un peu plus car nous devons tenir compte de ce que l'après-guerre et la décolonisation nous ont apporté comme changements de regard et de statuts pour nous-mêmes et chez nos voisins proches ou lointains, un triple phénomène est apparu et a pris une place de plus en plus importante dans les politiques publiques et les pratiques sociales, sous le nom de patrimoine qui recouvre des sens et des manifestations très différents.

Il y a le patrimoine personnel, familial qui se transmet en principe de génération en génération et dont une part au moins peut avoir une valeur extra-familiale, ne serait-ce qu'au sein de la communauté d'appartenance et du territoire (traditions, savoirs, habitat, propriétés participant de l'économie commune...). Il est très vivant dans la mesure où il se perd et se crée, en fonction des goûts, des modes, des variations de l'économie familiale.

A l'opposé, on trouve le patrimoine reconnu pour sa valeur universelle, dont les catalogues les plus connus sont les listes de l'UNESCO, mais aussi les inventaires des collections publiques des musées. Cette énorme masse de biens naturels et culturels, matériels et immatériels est en principe protégée, conservée, mise en valeur par des législations spécifiques et des institutions dédiées, nationales et, depuis exactement cinquante ans (Convention UNESCO de 1972 et ses déclinaisons ultérieures), internationales. Ce patrimoine "officiel" est, de fait, retiré à la responsabilité des citoyens, des communautés, et même des petites collectivités locales. Il est étroitement lié, depuis plus de cinquante ans, à l'essor du tourisme avec lequel il est en symbiose: le "grand" patrimoine est un facteur de soft power et d’attractivité des États, tandis que les flux économiques du tourisme financent directement ou indirectement la protection du patrimoine.

Enfin, depuis une cinquantaine d'années également, est apparu le nouveau concept de patrimoine vivant. Il recouvre, partout dans le monde, tout ce que les citoyens et les communautés reconnaissent comme "leur" patrimoine, dont ils souhaitent garder la responsabilité et la propriété individuelles et collectives, au nom de critères affectifs, de sa valeur d'usage et de son appartenance au territoire. Il fait l'objet, de plus en plus, d'initiatives individuelles et surtout collectives, émanant de la communauté ou de certains de ses membres, prenant la forme d'associations, de manifestations spontanées de défense et de mise en valeur, ou encore d'institutions privées ou publiques locales, musées de communautés, de territoires, écomusées, etc. Il ne s’agit pas ici de le protéger et de le mettre à l'abri pour une meilleure conservation, mais d'en prendre soin et de le maintenir au service de la communauté et de ses membres, de façon soutenable et évolutive. C'est donc une gestion participative et responsable du patrimoine.

 

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Il me semble que les gestionnaires du patrimoine, s'ils veulent profiter et s'inspirer de l'esprit de Santiago, sans cesser de remplir leurs missions d'inventaire, de collecte, de conservation, de présentation et d'éducation selon les principes de leurs professions respectives, devraient plus s'attacher à une connaissance concrète et approfondie du monde actuel et de leur environnement immédiat, dans toutes leurs dimensions et dans leur évolution dans le temps, pour être en mesure d'assumer leur rôle d'acteurs et de serviteurs de la société et de sa transformation, en tant que gestionnaires dynamiques du patrimoine dont ils ont la charge. C'est un autre sujet, celui de la co-responsabilité des acteurs du patrimoine,  qui n'a pas été suffisamment approfondi à Santiago et depuis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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