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13 janvier 2023 5 13 /01 /janvier /2023 16:56

Je n'ai aucune compétence en matière de politique de retraite, ou de démographie, ou d'action sociale, mais j'ai un peu travaillé, autrefois, sur l'emploi, le chômage, la création d'activité économique et l'économie sociale. Et j'ai aussi ma propre expérience personnelle d'une vie professionnelle à multiples rebondissements, de 22 à 78 ans.

J'entends actuellement tout ce qui se dit sur le projet gouvernemental de réforme du système français de retraite: il est tellement complexe et technique qu'il n'est pas question pour moi de porter un jugement, pour ou contre. Si ce projet est finalement adopté et mis en application, on verra bien s'il fonctionne ou non (d'ici 2030 ou au delà). S'il n'est pas adopté, on peut être certain qu'un autre sera bientôt proposé.

Mais il y a un aspect que je n'ai pas vu mentionner, ni de la part des partisans ni de celle des opposants, ni même dans les commentaires de journalistes ou d'experts convoqués par les médias pour donner leur avis.

Les travailleurs concernés, inquiets de la réforme annoncée, surtout évidemment les moins qualifiés qui appartiennent aux classes moyennes ou aux milieux défavorisés, semblent considérer ainsi que leurs syndicats que leur vie professionnelle est et sera linéaire, c'est à dire qu'ils resteront toujours, sinon dans la même entreprise, du moins dans le même métier et dans la même zone géographique (si possible dans le même bassin d'emploi). Ainsi un apprenti-couvreur devrait rester couvreur jusqu'à sa retraite, artisan ou salarié, avec une "pénibilité" de plus en plus ressentie avec l'âge et donc le souhait de prendre sa retraite aussi tôt que possible. Le même raisonnement s'applique à un enseignant, à un pompier, à un soignant, les facteurs de pénibilité étant chaque fois différents, mais tout aussi compréhensible: le travail est fatigant, et de plus en plus quand on prend de l'âge. Les principales raisons de cette continuité dans l'activité professionnelle sont évidentes: la compétence acquise et reconnue, la stabilité familiale souhaitée, les contraintes liées à un logement acquis ou rêvé, souvent source d'endettement à long terme, différents liens sociaux ou affectifs hérités ou créés au cours de la vie, des salaires en progression à l'intérieur d'une entreprise que l'on connaît,  etc.

Mais faut-il rester toujours dans le même métier, dans la même zone géographique, même ou surtout quand on est peu qualifié ? Il y a quelques années, un travailleur aux États-Unis travaillait en moyenne, au cours de sa vie, dans 12 États différents et changeait chaque fois d'employeur et souvent de métier, en fonction de la demande. En France, il y a trente ou quarante ans, une expérience avait été tentée, avec succès, à Roanne, pour faire passer des travailleurs licenciés du secteur de la mécanique textile à d'autres métiers de la mécanique, avec un minimum de formation-adaptation. Je vois dans la presse, ces jours-ci, en France et aussi en Allemagne et au Danemark, de nombreux exemples de retraités obligés à continuer à travailler pour améliorer leur niveau de vie ou assumer leurs charges familiales, qui prennent de nouveaux emplois, très différents de leurs qualifications antérieures, et qui semblent en être satisfaits. Quant aux jeunes, entre 18 et 25 ou 30 ans, ils sont de plus en plus mobiles, sautant d'un boulot à un autre, et d'un temps d'emploi à un temps d'inactivité ou de chômage, sans trop se préoccuper de fidélité à un employeur. Et bien entendu les cadres supérieurs et détenteurs de hautes qualifications sont très flexibles professionnellement, et en ont les moyens.

Certes, les choses ne sont pas si simples et les problèmes très concrets de mobilité, d'habitat, d'emploi du conjoint et d'éducation des enfants, de niveau de rémunération, peuvent paraître insurmontables dans la continuité du XX° siècle et dans les discours défensifs ou corporatistes des syndicats. Mais il me semble qu'il serait temps, plus que de réformer le système des retraites, de laisser le temps à la société (française, ou européenne) d'évoluer dans ses pratiques d'emploi et de travail, non pas en fonction de la seule retraite vue comme un objectif à atteindre dès que possible, mais pour une vie professionnelle plus équilibrée, en fonction des compétences acquises et de l'expérience, de choix discutés et décidés dans un cadre familial, de l’évolution de ses propres forces physiques et mentales, et bien sûr d'un marché du travail où nous voyons de plus en plus les employeurs en position de demande et les salariés en position d'offre.

Une telle évolution porterait d'abord sur les mentalités, les attentes et les comportements des travailleurs eux-mêmes, puis influerait sur les pratiques des employeurs, sur les programmes de formation/adaptation continue, sur les politiques locales d'attractivité, de logement, de transports publics, et enfin sur une nouvelle réforme des retraites qui tiendrait compte de ces changements avant de faire de savants calculs budgétaires. Il faudra sans doute au moins une génération, plus probablement deux ou trois, pour que l'on arrive naturellement à une culture de la vie au travail et finalement à une conception de la retraite qui résulteront non pas de lois ou de négociations hors-sol, mais d'une adaptation collective et différenciée, difficile sans doute mais provenant de la pratique individuelle et du contexte social, économique et culturel.

 

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