Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 juillet 2019 3 31 /07 /juillet /2019 16:13

Quarante-huit ans après des débats passionnés lors de la 7ème Conférence générale de Grenoble, quarante-cinq ans après l'approbation d'une nouvelle définition du musée par la 8ème Conférence générale de Copenhague, l'ICOM s'apprête à mettre au vote, à Kyoto, le 7 septembre, un projet de définition complètement nouvelle (https://icom.museum/fr/activites/normes-et-lignes-directrices/definition-du-musee). Il se lit ainsi:

Les musées sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples.

Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire.

 

Je ne veux pas intervenir dans un débat qui semble déjà avoir eu lieu en interne et pour lequel je ne me sens pas légitime, n'étant pas moi-même professionnel de musée. Je crois cependant intéressant de faire quelques remarques sur ce projet à l'intention de mes nombreux amis qui s'intéressent à la muséologie et qui sont ou ont été les acteurs et témoins du mouvement que l'on appelait la "nouvelle muséologie".

 

1. Vu dans son ensemble, ce texte ne ressemble pas à une définition, mais plutôt à une sorte de préambule idéologique qui pourrait convenir à bien d'autres institutions (bibliothèques, archives, départements universitaires, centres culturels, laboratoires). La définition actuelle n'est certes pas parfaite (elle est trop centrée sur la collection), mais elle est acceptée mondialement et sert de référence à bien des documents nationaux et internationaux.

2. Le style compliqué (dialogue critique sur les passés et les futurs) et le vocabulaire ampoulé (lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques) reflètent des préoccupations généreuses qui se réfèrent à des concepts politiques et sociologiques très répandus, qui esquissent une sorte d'idéal tellement exigeant (l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples) que l'on aurait du mal à trouver au monde un seul musée qui l'atteindrait.

3. On pourrait plutôt y voir un tableau de quelques critères professionnels et moraux à respecter pour attribuer le label de musée à telle ou telle institution. Mais alors, si nous cherchons à appliquer de telles "normes" (qui n'existent actuellement à ma connaissance dans aucune loi nationale de musées), je crains que l'on rencontre des difficultés:

- quels musées se dédient au dialogue critique sur les passés et les futurs ?

- quels musées sont réellement participatifs et transparents ?

- quel musées peuvent prétendre contribuer efficacement à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire ?

4. Certes le musée continue à être organisé autour de collections matérielles et immatérielles dont il est dépositaire et qu'il doit sauvegarder et mettre en valeur, mais peut-il vraiment améliorer les compréhensions du monde ? D'ailleurs, qui, au sein d'un musée, peut dire qu'il comprend le monde, que ce soit au singulier ou au pluriel ?

 

Cet ensemble de bonnes intentions pourrait trouver sa place dans les discours sur la déontologie des musées et être enseigné aux professionnels de musées, car ce sont eux qui devront faire respecter ces principes dans leurs pratiques, alors que les musées, eux, ont la neutralité de toute institution publique. Pour ne prendre qu'un exemple très actuel: si l'on veut garantir l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples, il faudra bien que les responsables des musées prennent les mesures nécessaires pour que les peuples aient accès physiquement et culturellement aux artefacts et spécimens qui appartiennent à leurs patrimoines.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 17:23

Franck Riester est le ministre français de la Culture. Il a prononcé le 4 juillet, à l'Institut de France, devant un parterre d'académiciens et de personnalités du monde des arts et de la culture, en particulier des musées et du patrimoine, un discours dont on peut trouver le texte écrit sur :

http://www.culture.gouv.fr/Presse/Discours/Discours-de-Franck-Riester-ministre-de-la-Culture-prononce-a-l-occasion-du-forum-Patrimoines-africains-reussir-ensemble-notre-nouvelle-cooperation-culturelle-jeudi-4-juillet-2019.

 

Le ministre a traité des problèmes posés par les relations culturelles entre la France et l'Afrique, en insistant plus particulièrement sur la question de la restitution de patrimoines africains à leurs pays et cultures d'origine, à la suite du discours du Président Macron à Ouagadougou et du rapport Sarr-Savoy qui en a été la conséquence. Même si je ne suis pas un expert de ces questions, il me semble important de commenter, ou même de rectifier, certains passages du discours ministériel, du point de vue du simple bon sens et aussi de l'histoire des relations politiques et culturelles entre l'Europe et l'Afrique. Voici donc reproduits en italique quelques extraits significatifs que je me permettrai de commenter et de questionner.

 

Notre pays est le dépositaire d’un patrimoine fait de chefs d’œuvres inestimables. Parmi ce patrimoine, de nombreux chefs d’œuvres ont été créés en Afrique.

Je crois qu'il ne faut pas confondre ce qui constitue le patrimoine de la France et des français, avec les éléments de patrimoines appartenant à d'autres pays et à d'autres peuples qui peuvent se trouver sur notre territoire (dans nos musées ou dans des collections privées) à la suite d'un transfert de propriété dû à des circonstances variables, légitimes ou non. Un objet nigérian ou coréen fait partie du patrimoine nigérian ou coréen, même s'il se trouve dans un musée ou une collection en France. Le fait d'avoir été aimé ou étudié par un artiste ou un intellectuel français ne lui donne pas un caractère patrimonial pour la France.

D'autre part, pourquoi parler de chefs d’œuvre, ou même plus simplement d’œuvres. C'est un vocabulaire issu de l'histoire de l'art qui reflète le regard et l'appréciation portée sur des objets, ici évidemment africains, par des spécialistes européens qui se réfèrent à leur seuls véritables critères de qualité et de valeur, qui sont artistiques. Mais que ces objets aient d'abord et peut-être exclusivement une valeur historique, politique, religieuse, technique, sociale pour le pays et le peuple au patrimoine desquels ils appartiennent, ne semble pas poser de problème au ministre.

 

Rappelons-nous l’influence décisive que les arts du continent africain ont eu sur les artistes européens.

Je ne peux m'empêcher de voir dans cette phrase l'idée que ce seraient les artistes européens (il cite ensuite Picasso, évidemment) qui auraient "inventé" les arts africains, à partir d'objets qu'ils ne comprenaient pas et dont ils ne voyaient que des formes dont ils décidaient de s'inspirer.

 

Ne reprochons donc pas à nos musées d’être ce qu’ils sont. Ils donnent à voir le monde et la création artistique dans sa diversité. Ils sont les messagers de l’universel [....] Je souhaite donc que nos institutions muséales intensifient leurs échanges avec leurs homologues d’Afrique. Qu’ils partagent leurs chefs-d’œuvre, qu’ils les prêtent, qu’ils les déposent, qu’ils les fassent circuler car aucun artiste n’a jamais voulu que ses créations soient le monopole d’un temps et d’un espace uniques.

Les messagers de l'universel ne parlent et n'agissent qu'à travers le prisme de leur propre culture. Accepteront-ils de présenter les patrimoines des autres selon le regard des autres ? Laisseront-ils des muséologues ivoiriens ou gabonais gérer et présenter à leur manière les collections béninoises ou gabonaises du Musée du Quai Branly ? Risqueront-ils des "chefs d’œuvre" de leurs propres cultures en les envoyant sous d'autres latitudes, à des collègues formés différemment ? Ou bien reproduirons-nous l'exemple d'Abu Dhabi en Afrique ?

 

L’Institut national du patrimoine (INP) et l’École du Louvre vont mettre en œuvre un programme de formation à destination des partenaires africains qui souhaiteront y prendre part.

Ces deux institutions nationales françaises sont-elles qualifiées pour former des professionnels africains du patrimoine ? Ou bien se contenteront-elles de faire ce qu'elles savent faire, c'est à dire former des conservateurs européens du patrimoine - artistique ou ethnographique - entreposé dans des musées européens et considéré ipso facto comme européen ? D'ailleurs, faut-il parler globalement de conservateurs africains, supposés appliquer les normes et les pratiques des musées européens, supposées sans doute universelles ? Ne devrait-on pas parler de professionnels du patrimoine et des musées sénégalais, béninois, camerounais, chaque pays ayant le droit de créer et de développer ses propres institutions, parlant le langage de sa propre culture, en fonction d'objectifs nationaux ou même locaux, pour son propre patrimoine ?

 

Antiquaires, commissaires-priseurs, experts, collectionneurs, tous participent à la connaissance et à la conservation des patrimoines. Ils ont fait de Paris la capitale mondiale de ce secteur du marché de l’art.

Le marché de l'art sert surtout à l'importation et à la circulation d'éléments de patrimoine, considérés pour leur valeur artistique et commerciale, au détriment des pays d'où ils sont extraits par divers moyens, parfois légaux, souvent illégaux. Il ne s'agit par conséquent ni d'une connaissance de la signification culturelle de ces objets, ni de leur conservation au sein des sociétés qui leur ont donné naissance.

 

Merci à l’Unesco d’être présente, elle qui agit sans relâche pour la préservation de la richesse des patrimoines.

Cette phrase, prononcée au début du discours,  est intéressante, car bien d'autres phrases par la suite se réfèrent, explicitement ou implicitement, au caractère universel du patrimoine, un concept promu par l'Unesco, notamment à travers ses diverses listes d'un patrimoine dit "mondial". Mais le patrimoine n'est-il pas d'abord celui de ceux qui ont ont été les créateurs, puis les héritiers légitimes ? Et ne sont-ils pas les meilleurs juges de ce qui est leur patrimoine, avant que des experts discutent de ce qu'il a d'universel (à leurs yeux d'experts) ?

 

 

Partager cet article
Repost0
15 mai 2019 3 15 /05 /mai /2019 09:41

Je viens de terminer la lecture du remarquable ouvrage coordonné par trois archéologues français, Jean-Paul Demoule, Dominique Garcia et Alain Schnapp, avec l'aide d'un très grand nombre d'auteurs de plusieurs pays, intitulé

Une histoire des civilisations

Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances

Paris, Éditions de La Découverte, 2018, 603 pages

Partant du principe que la recherche archéologique est une source de connaissance au moins aussi utile et fiable que la recherche traditionnelle sur textes et documents, les auteurs proposent un parcours complet depuis les premiers hominidés, jusqu'à la révolution industrielle et aux conflits de ces deux derniers siècles, en utilisant des découvertes très récentes, qui tiennent compte des technologies les plus avancées d'exploration, d'analyse, de datation, de génétique.

Ayant fait moi-même des études d'histoire et d'archéologie il y a bien longtemps, j'ai réalisé à quel point la recherche dans cette discipline avait fait des pas de géant depuis seulement quelques décennies. J'y ai aussi mieux ressenti l'accélération de l'histoire de l'humanité et sa relation à l'espace et au temps: il est impressionnant de voir, à quelques pages de distance, l'espèce humaine naître en Afrique, puis investir l'Europe occidentale, la Chine, la Polynésie ou l'Amérique Centrale, et pendant des millions d'années évoluer culturellement et techniquement, en s'adaptant à des environnements tellement différents.

Le livre se termine par deux courts chapitres qui ouvrent de nouvelles perspectives pour l'archéologie:

- Raconter la construction des territoires: une nouvelle mission pour les musées d'archéologie

- Archéologie et société

Et les dernières phrases méritent d'être citées: "L'archéologie se révèle donc être un excellent moyen, de prise de conscience des réalités socio-économiques et politiques qui nous entourent. A ce titre, elle est en mesure de devenir une discipline militante, qui apporte des connaissances nouvelles sur le passé de l'humanité, mais qui sait aussi dégager des pistes de réflexion et d'engagement citoyen pour mieux aborder les réalités du présent et les défis de l'avenir."

 

Partager cet article
Repost0
4 mai 2019 6 04 /05 /mai /2019 10:35

Mário Moutinho vient de m'envoyer les sept volumes de la collection complète des

Cadernos de Sociomuseologia

Reedição 1993-2012

publiée en 2016 par les Edições Universitárias Lusófonas. Cette réédition comprend plus de 3000 pages de ce que l'on peut appeler les archives de la sociomuséologie depuis le début de l'aventure de l'enseignement de cette discipline à l'Universidade Lusófona de Humanidades e Tecnologias, à Lisbonne. Certes nous étions nombreux à posséder des numéros de cette revue, mais personnellement, je n'avais pas toute la collection et je ne me rendais pas vraiment compte de sa dimension et de son importance.

On y trouve des articles de fond, des témoignages et des expériences de terrain, des réflexions théoriques, des mémoires universitaires, qui couvrent le monde lusophone, surtout Portugal et Brésil, mais aussi de très nombreuses contributions internationales de représentants des divers courants de la Nouvelle Muséologie, de l'écomuséologie, de la muséologie communautaire. Les textes sont naturellement surtout en portugais, mais aussi en anglais et en français, notamment de nombreux articles de Pierre Mayrand.  Je ne connais pas de revues multilingues aussi ouvertes aux idées nouvelles dans le domaine du patrimoine et des musées.

Je pense qu'il faut féliciter Mário et son équipe pour avoir réussi à mener à bien à la fois la recherche et l'enseignement dans leur université et la publication d'un périodique aussi original, qui installe la sociomuséologie sur les rayons de la bibliothèque internationale de la Nouvelle Muséologie.

*

Mieux encore peut-être, Mário Moutinho vient de publier (janvier 2019)

Sociomuseologia : Ensino e Investigação -

1991-2018 - Repositório documental anotado

C'est une publication du Departamento de Museologia du Centro de Estudos Interdisciplinares em Educação e Desenvolvimento, de l'Universidade Lusófona de Lisboa. Sur 364 pages, il nous apporte la mémoire de la sociomuséologie, ce courant de la nouvelle muséologie dont Mário Moutinho a été le fondateur et reste jusqu'à aujourd'hui un des plus actifs promoteurs. Je le félicite d'avoir eu l'idée et le courage de réaliser ce considérable travail qui permet de comprendre ce qu'est la sociomuséologie et de suivre l'évolution sur vingt sept ans de la formation, de la recherche et des relations internationales de cette discipline.

 

 

Partager cet article
Repost0
27 avril 2019 6 27 /04 /avril /2019 17:22

Je ne suis qu'un européen issus d'un ancien pays colonial, je n'ai donc de conseils à donner à personne. Mais j'ai beaucoup voyagé, j'ai participé à de nombreux débats sur le patrimoine et les musées, je me suis occupé professionnellement de développement local et j'ai beaucoup appris des praticiens du développement en Amérique, en Afrique et en Asie. Et je voudrais poser une question qui me paraît utile en cette période où l'Afrique va peut-être, enfin, récupérer les témoins  essentiels de son patrimoine qui lui ont été arrachés, volés, achetés depuis deux ou trois siècles. Naturellement, les musées sont en première ligne dans ce processus, aussi bien les musées qui vont devoir rendre une partie de leurs collections, que ceux qui vont pouvoir recevoir et présenter les objets qui leur seront rendus.

Mais pour ces derniers, j'ai l'impression que la situation est confuse. D'une part, il me semble que la plupart des musées africains ont été conçus et sont gérés selon des principes et des normes imposés par les théoriciens de la muséologie "internationale", c'est à dire en réalité euro-américaine, promue et enseignée dans tous les cours de muséologie et de muséographie. D'autre part, actuellement, on ne parle, en matière de restitution que d’œuvres d'art ou d'objets ethnographiques, puisque tous ces objets africains sont considérés comme ayant la valeur artistique ou ethnologique qui leur a été attribuée par des historiens d'art ou des chercheurs formés dans les universités euro-américaines.

La conséquence devrait en être que les collections rendues à l'Afrique soient installées dans des musées et des expositions répondant à ces normes qui correspondront aux goûts des intellectuels et des visiteurs venus des anciens pays coloniaux ou des habitants locaux partageant ces goûts. On sait malheureusement que cet état de choses est général, dans presque tous les pays du monde: les musées, du moins les grands musées des grandes métropoles et les musées des sites inscrits à ce que l'Unesco appelle le Patrimoine Mondial, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, s'adressent aux touristes étrangers et aux populations locales "cultivées".

Mas il existe aussi maintenant des idées nouvelles sur le patrimoine et sur les musées, inventées localement, sans trop respecter les normes établies nationalement ou internationalement. Dès 1972, la Table Ronde de Santiago avait montré la voie en disant que le musée devait s'intégrer dans la société, toute la société. Les musées communautaires à l'intérieur du Mexique ou du Guatemala, les musées autochtones au Canada ou indigènes au Brésil, certaines expériences en Inde ou en Chine, de nombreux écomusées en Italie donnent naissance à de nouvelles muséologies qui ne suivent pas les typologies habituelles (art, archéologie, ethnologie, sciences naturelles...), mais émanent des populations locales et même de plus en plus souvent de la volonté d'autorités politiques conscientes de leur responsabilité sur le patrimoine de leurs territoires, On ne parle plus d'art, de sciences humaines, mais de la mémoire des gens, de leur histoire, de leur avenir, de leurs savoirs, de leurs croyances, de projets de développement appuyés sur les ressources patrimoniales.

Je crois savoir qu'il existe déjà en Afrique des expériences magnifiques, mais je préfère ne pas en parler car je ne les connais pas personnellement.  A partir de ces expériences qu'il faudrait largement faire connaître, il serait intéressant de faire naître le plus grand nombre possible de projets-pilotes pour l'utilisation du patrimoine dans l'intérêt des populations (et non pas des seuls touristes) et du développement des territoires.

D'où ma question: quelles muséologies vont naître en Afrique ?

Partager cet article
Repost0
20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 17:59

Le Grand Débat proposé par le gouvernement est maintenant terminé, du moins dans sa partie publique, qu'il s'agisse des rencontres sur le terrain ou des contributions en ligne. Ce fut manifestement un succès populaire dont on peut déjà tirer une conclusion générale qui confirme celle qui ressortait du mouvement dit des Gilets Jaunes : les citoyens éprouvent un fort besoin de participer à la décision politique, et pas seulement par l'accomplissement périodique de leur "droit de vote".

On verra dans les mois qui viennent ce que le Président, le gouvernement, le Parlement et l'administration lui donneront, au-delà des discours, comme suites politiques, législatives et réglementaires et comment ce sera accueilli par l'opinion publique.

Mais, après avoir suivi ce débat, ou plutôt ces débats, aussi bien sur le terrain, sur la Plateforme que dans les médias, le citoyen lambda et âgé que je suis veut tirer ses propres conclusions, ne serait-ce que pour prendre date.

1. Les questions posées, étant de niveau national, ne pouvaient recevoir que des réponses de niveau national, c'est à dire des affirmations et des revendications simples sur des sujets d'une grande complexité. On est presque toujours resté au niveau des déclarations "de café du Commerce" que l'on entendait depuis très longtemps, sans qu'elles apparaissent autrement que sous la forme de statistiques suite aux innombrables enquêtes d'opinion, tellement fréquentes qu'elles en devenaient inaudibles.

2. Les débats locaux, par leur vitalité, montraient bien la capacité des participants à des échanges collectifs, sérieux, respectueux, et un besoin de médiation pour assurer l'obtention de résultats par consensus. Par contre, les contributions sur la plateforme en ligne, parce qu'elles émanaient d'individus, restaient une juxtaposition d'avis isolés, à mon avis inutilisables car ne pouvant prétendre représenter des positions collectives.

3. Pour la même raison, la proposition référendaire, de plus en plus présente au fur et à mesure de la progression du Grand Débat, n'offre aucune piste utile pour une participation des citoyens à la politique, car elle ne permet qu'une addition d'opinions individuelles sur des sujets complexes, nécessairement commentés par des informateurs partisans pendant les campagnes pré-référendaires.

4. Quelques débats, organisés et restitués par des corps intermédiaires (syndicats, associations entre autres), ont démontré la capacité de ces corps à se saisir des questions posées par le pouvoir et à leur proposer des réponses articulées et argumentées. Toutefois, elles n'émanent que des états-majors de ces corps intermédiaires et, vu le calendrier du Grand Débat, n'étaient pas le résultat de discussions en interne et d'un véritable consensus.

5. Chaque fois que, dans un débat local, des sujets relevant du territoire, du cadre de vie et de l'avenir des participants et de la communauté locale étaient abordés, la discussion devenait concrète et aboutissait à des propositions également concrètes, adressées non pas anonymement au pouvoir central mais à des interlocuteurs clairement désignés pour leur pouvoir de décision ou de transmission aux échelons supérieurs.

6. La masse des données rassemblées et traitées par algorithmes ne permettra jamais de dégager des conclusions autres que très générales, contradictoires, où chacun pourra trouver ce qu'il cherche, pour le revendiquer ou pour le contester.

 

 

Quelles que soient les décisions qui seront annoncées au sommet de l’État et leur application pratique sur le terrain, on peut craindre que le besoin de participer effectivement et utilement à la décision politique, exprimé justement et fortement à la fois par le mouvement des Gilets Jaunes et par les participants au Grand Débat, ne soit pas satisfait durablement, pour plusieurs raisons :

- un débat national de cette ampleur, comme le référendum demandé par beaucoup, ne peut être institutionnalisé, parallèlement à la démocratie représentative, sous peine de se réduire à un affrontement permanent entre une masse inorganisée – "le Peuple" – et un Président supposé tout puissant ;

- ce débat ne peut porter que sur des sujets tellement généraux, complexes et même souvent contradictoires (par exemple augmenter le pouvoir d'achat et baisser les impôts), que les réponses données ne seront jamais considérées comme acceptables par la partie la plus radicale ;

- les citoyens qui demandent le plus à participer ne sont pas actuellement capables d'être des acteurs crédibles et efficaces de la politique nationale, par manque d'information, d'expérience et de connaissances, et ils ne savent pas négocier : on ne leur a jamais demandé que de voter tous les cinq ou six ans, et encore beaucoup s'abstiennent…

- les corps intermédiaires (partis politiques, syndicats, associations) ne sont pas, au plan national, plus démocratiques et se comportent plus comme des contre-pouvoirs que comme des acteurs conscients de la décision politique.

 

Et pourtant, le besoin, ou plutôt l'exigence, de participation, que nous sommes nombreux à avoir relayée depuis quarante ou cinquante ans, est bien réel et ce mouvement des Gilets Jaunes lui donne une légitimité et une force que nos démonstrations théoriques appuyées sur des pratiques locales incontestables mais isolées ne pouvaient avoir. Il faut en profiter et conseiller aux pouvoirs publics de tous niveaux de rechercher dans l'expérience acquise les principes et les méthodes qui permettraient de mettre en place progressivement des dynamiques locales de participation des citoyens à la décision politique et à la mise en œuvre de solutions efficaces aux problèmes d'intérêt commun, et cela d'abord à l'échelle communale, intercommunale, de quartier, de pays, c'est à dire des territoires de la vie quotidienne (bassin de vie, bassin d'emploi).

Une telle participation ne pourrait être que collective, c'est à dire basée sur le débat entre égaux, solidaires du problème posé, de la décision adoptée et des modalités de réalisation. La norme devrait être le consensus, même si des votes seraient nécessaires sur les points de vrais désaccords de fond. Il y a assez d'exemples de ces pratiques, en France même et à l'étranger, pour fournir des références et des évaluations : il suffirait d'aller les chercher et de les faire témoigner.

Il me semble que si un dispositif de ce genre était proposé par les échelons intermédiaires (département, région, métropole), autorisé par le pouvoir central et repris par des élus motivés s'appuyant sur le tissu associatif local et les forces vives de la société civile, on pourrait voir naître, de proche en proche, non pas par loi ou décret, mais par contamination, une multiplicité d'initiatives qui transformeraient la vie politique et sociale locale entre deux périodes électorales et apprendraient aux citoyens à s'intéresser au bien commun, à jouer un rôle constructif et aussi critique, à négocier des décisions, à analyser la complexité des situations.

Et peut-être, dans une ou deux générations, un nombre croissant de Français seraient-ils devenus capables d'êtres des acteurs politiques responsables, peut-être pas très faciles à manipuler ou à faire voter, mais conscients.

Partager cet article
Repost0
6 février 2019 3 06 /02 /février /2019 11:38

Il n'était pas possible de passer à côté du Grand Débat lancé par le gouvernement français, comme une réponse à la crise dite "des gilets jaunes" que nous connaissons depuis maintenant plus de deux mois. Dans un pays comme la France où l'action communautaire est presque inconnue, où la participation des habitants est plus un slogan facile qu'une réalité quotidienne, devant un mouvement populaire essentiellement composé d'individus aux revendications adressées au sommet de l’État faute de pouvoir agir sur la vie quotidienne, ce débat potentiellement collectif, nécessairement identifié à des territoires, est une chance d'inventer de nouvelles manières de faire de la politique. Encore faudrait-il que ce temps de réflexion collective ne reste pas unique et sans suites pour les communautés et les territoires. Il ne suffira pas de répondre d'en haut à des revendications individuelles ou collectives. Il faut que cela devienne une habitude et que les citoyens soient capables de participer à la vie publique, au delà des périodes électorales. Mais comment faire ?

Comme j'avais le droit, comme tout citoyen, d'apporter ma contribution au débat et que je n'avais pas encore trouvé dans mon environnement, de débat local auquel je puisse prendre part, j'ai mis en ligne un petit texte pour proposer quelque chose, à partir de mes expériences professionnelles et personnelles. Comme il y aura sans doute plus de 50.000 contributions, la mienne n'a aucune chance d'apparaître autrement que comme une donnée statistique. Aussi, mon narcissisme me pousse à publier ici ce petit texte, pour en garder une trace. Il n'a rien d'extraordinaire et ne pourrait que servir à une discussion collective avec des gens qui seraient intéressés à aller plus loin et plus profond. En tout cas, le voici.

 

*

 

Que faudrait-il faire aujourd'hui pour mieux associer les citoyens aux grandes orientations et à la décision publique ? Comment mettre en place une démocratie plus participative ?

(Question posée par la plateforme officielle du Grand Débat)

 

C'est le but principal de ma contribution, qui s'inspire de l'expérience des actuels conseils de développement pour les transformer. Depuis les années 1990, des conseils de développement représentent la société civile dans les grandes agglomérations et dans certains "Pays" au sens des lois Pasqua-Voynet. Même si leur valeur et leur efficacité sont inégales, c'est un dispositif intéressant que l'on pourrait reprendre en le généralisant et en en faisant un outil de participation démocratique. Chaque EPCI ou collectivité territoriale, à partir du niveau Communauté de communes, serait doté obligatoirement d'un Conseil de développement de la démocratie participative (CDDP), composé d'un nombre limité de citoyens volontaires représentant les forces vives du territoire et mandatés par elles (associations, institutions publiques et établissements privés, partenaires sociaux).

 

Ce conseil aurait pour fonction de mobiliser, entre deux élections, la participation active des citoyens et des corps intermédiaires :

1. sur les sujets d'intérêt local figurant dans le programme de mandat et surtout sur ceux qui se présentent en cours de mandat (imprévus ou exogènes), pour dégager des avis collectifs, des propositions d'amendements ou de nouvelles décisions, voire des rejets motivés; le CDDP les fera remonter aux élus du territoire et aux administrations compétentes;

2. sur des sujets d'intérêt général issus des niveaux supérieurs de proposition et de décision, dont l'impact se fait sentir sur les habitants du territoire, pour faire émerger des réactions, des opinions, des critiques ou des propositions que le Conseil fera ensuite remonter au niveau pertinent.

 

Au delà de cette fonction, le Conseil aurait la tâche permanente

a. de susciter, par différentes méthodes, issues notamment de l'éducation permanente et de la culture populaire, la capacité de prise collective de responsabilité par les citoyens;

b. d'amener progressivement les instances politiques et administratives du territoire à associer les citoyens ainsi responsabilisés à participer aux affaires publiques, par l'information, la consultation, la concertation et autant que possible par la co-décision.

 

Le Conseil aurait ainsi un rôle global de médiation. Il pourrait être promoteur de référendums d'initiative locale. Les conseils de quartier, en milieu urbain, recevraient le même rôle, en plus de leurs missions actuelles qui sont plus restreintes mais proches dans l'esprit. Je suis évidemment prêt à approfondir cette esquisse, en collectif, avec des personnes qui s'y intéresseraient.

 

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2019 3 09 /01 /janvier /2019 17:33

Le journal Le Monde daté du jeudi 3 janvier publiait un article de Stéphane Lecler, un urbaniste, intitulé « Refonder la politique d’urbanisme de notre pays ». L’auteur reprenait les critiques habituelles – et tout à fait fondées – de l’évolution des villes et de leurs périphéries depuis le milieu du XX° siècle, dont il soulignait les effets sur les centre-villes : disparition des commerces et de l’animation, « gentrification » et exclusion des classes moyennes et modestes par le coût du logement, et cela particulièrement dans les bourgs et les villes petites et moyennes. Les médias ont souvent, ces dernières années, souligné les conséquences humaines, sociales et économiques de cette situation qui semble échapper complètement aux politiques et aux administrations et cela depuis au moins cinquante ans.

 

Parmi les propositions formulées en conclusion, j’ai noté « réinvestir fortement les centres des bourgs et villes moyennes en rénovant les logements vétustes et en encourageant une densification raisonnée de ces territoires aux qualités patrimoniales souvent remarquables, afin d’y accueillir de nouveaux habitants... ». Et pour cela, il faisait appel à l’adoption ou à la révision des PLU intercommunaux, dans une logique de bassin de vie.

 

Pourquoi pas, en effet ? Mais, puisque Stéphane Lecler souligne l’intérêt potentiellement patrimonial du centre-ville, je voudrais rappeler que nous sommes en France, que nous avons construit, de Mérimée à Malraux et à leurs disciples, une législation, une réglementation et des pratiques de protection physique du patrimoine architectural et aussi des sites, qui sont un autre aspect de l’exception culturelle française et qui ont progressivement entraîné une « muséalisation » des cœurs de bourgs comme des centres historiques des villes petites et moyennes en les plaçant sous la tutelle d’architectes-en-chef des monuments historiques, d’architectes des bâtiments de France, de professionnels de l’archéologie préventive, et aussi bien sûr de nombreuses associations militantes de défense du patrimoine.

 

Cette politique patrimoniale est un facteur, au même titre que les autres facteurs plus souvent cités, de l’abandon des innombrables centres urbains qui sont protégés au titre du patrimoine soit dans un secteur sauvegardé, soit dans un rayon de 500 mètres d’une église ou d’un monument civil classé, ou encore de vestiges historiques. Qu’il s’agisse de projets d’une collectivité territoriale, d’un propriétaire privé, d’un investisseur immobilier ou d’un entrepreneur, les contraintes légales et administratives sont parfois dissuasives en termes de faisabilité, de délais et de coûts. Il est tellement plus simple et plus rapide d’aller construire à l’extérieur qui de revitaliser le tissu ancien en le rendant habitable ou utilisable commercialement.

 

Évidemment, il n’est pas question de brader le patrimoine au profit d’un urbanisme sauvage. Mais je crois qu’il faut aller plus loin dans la réflexion sur le « comment faire ? ». L’expérience de nombreux sites exemplaires de développement local, dans de nombreux pays, et notamment ceux qui impliquent une gestion communautaire et participative du patrimoine, montre que la ville doit rester vivante et se développer d’abord pour et par ses habitants et non pas pour des spécialistes ou... pour des touristes. Il faut que les habitants eux-mêmes, collectivement et non pas pour leurs seuls intérêts personnels, considèrent leur environnement urbain comme un paysage cohérent, où il fait bon vivre, issu d’un processus historique d’urbanisation qui doit se poursuivre en tenant compte des techniques et des besoins du présent et du futur.

 

Les institutions du patrimoine, musées de territoire, écomusées, centres d’interprétation, et les professionnels qui en ont la charge, peuvent ou pourraient, en s’imposant comme acteurs et médiateurs des programmes de développement urbain, au nom du patrimoine et de l’intérêt commun, rendre possible une co-évolution du cadre de vie des habitants, de génération en génération. Cela suppose que l’on reconnaisse leur légitimité et leur compétence, au-delà de leur seules fonctions culturelles et touristiques.

 

 

Le patrimoine, pour rester vivant, doit pouvoir se transformer, rester utile, donner naissance à de nouvelles formes et à de nouveaux usages. Il ne faut pas avoir peur du changement, il faut le partager et le maîtriser, sans se soumettre aveuglément à des règles imposées par des pouvoirs savants mais éloignés de la vie quotidienne des gens.

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2019 3 09 /01 /janvier /2019 17:28

Ce qui se passe ces jours-ci en France (ce que l’on appelle « la crise des gilets jaunes ») me passionne et me fait regretter d’être aussi vieux et incapable de jouer un rôle actif dans la cité, ou dans mon village. Pendant cinquante ans, j’ai défendu et parfois mis en application le principe de la participation des citoyens à la décision, dans un cadre communautaire et dans des processus de débat collectif. Je prétends que le système de démocratie dite « représentative » dans lequel nous vivons est en réalité un système de délégation, qui n’est démocratique qu’au moment des élections. Je pense profondément que la démocratie à la française ne prend en compte que l’expression du citoyen-électeur à titre purement individuel et considère toute expression collective et tout corps intermédiaire comme un contre-pouvoir implicitement illégitime. La vie associative si souvent célébrée est un pis-aller toujours en quête de subventions, lorsqu’elle n’est pas utilisée pour pallier les lacunes de l’administration publique. L’éducation populaire n’a jamais réussi à former les citoyens à la prise de responsabilité politique.

 

Et voilà qu’un mouvement spontané (même s’il est l’objet de récupérations et de manipulations) se produit, auquel les pouvoirs établis, et notamment le gouvernement, ne semblent pas capables de s’adapter et de répondre de façon positive et constructive, se bornant à tenter d’en pallier les effets les plus dérangeants au nom de l’ordre, de la sécurité et de l’économie. Et ce mouvement, qui peine à s’organiser, ne parvient qu’à exiger toujours plus d’écoute, de pouvoir d’achat, de services publics, tout en demandant la diminution des impôts et des taxes.

 

Finalement, un grand débat national est annoncé et organisé d’en haut, alors que de nombreuses initiatives sont prises d’en bas, mais sans que rien soit dit de la prise de décision. On peut le comprendre, car ce n’est pas en quelques semaines ou même en quelques mois, que l’on va transformer un régime de délégation en un régime de co-décision, dans un monde complexe où les dossiers de l’intérêt général exigent de la réflexion, de l’information, de la méthode.

 

Un exemple : telle mesure économique ou fiscale va impacter à la fois les conditions de la vie immédiate d’un certain nombre de gens (dès la fin du mois) et la mise en œuvre de décisions nationales ou supra-nationales sur le réchauffement climatique (à l’horizon 2030 ou 2050). On nous dit qu’il faut « accompagner socialement » cette mesure pour la rendre acceptable par les gens. Mais si une grande majorité des personnes concernées n’ont pas eu la possibilité de participer effectivement à la décision, après une réelle information et dans un débat collectif, et s’ils n’ont pas consenti à donner la priorité au long terme et à s’adapter aux effets à court terme, jamais il ne sera possible de convaincre le citoyen lambda de se laisser faire. Et comme le citoyen lambda est aussi électeur, jamais les élus n’accepteront de lui imposer une mesure qui lui déplaise. J’entends d’ailleurs de plus en plus de voix qui doutent que la démocratie soit capable de résoudre cette opposition entre le court et le long terme. Il était temps de se poser la question, car les acteurs du développement local savent depuis longtemps que le consentement des citoyens aux décisions de long terme est la seule condition d’un avenir soutenable de tout territoire et qu’il faut inventer et pratiquer une autre démocratie.

 

Car consentir aux décisions exige que l’on participe à leur élaboration, très en amont, et que l’on soit présent au moment de la décision. Ce n’est pas par le référendum que l’on y arrivera, car il ne s’agit pas de répondre par oui ou par non à une question exprimant des points de vue passionnés et subjectifs. Ce devrait être par un travail collectif, portant sur des sujets concrets, d’intérêt également collectif pour chaque territoire, appuyé par une information complète et par l’apport de compétences techniques et n’ayant pas peur de prises de position contradictoires, voire conflictuelles. Cela prend du temps, cela suppose une mobilisation du plus grand nombre possible de citoyens volontaires et motivés. Les élus peuvent et doivent le rendre possible, le faciliter, arbitrer les divergences, expliquer les choix et motiver les décisions dans un langage compréhensible par tous.

 

On a de nombreux exemples de ces démarches de participation. A l’étranger, on a beaucoup parlé du « budget participatif » lancé à Porto Alegre, au Brésil, à la fin des années 80 du siècle dernier, dont la formule a été reprise en Europe, mais pas toujours comprise, ni appliquée dans sa rigueur méthodologique. De nombreux groupes communautaires de base, en Amérique Latine également, agissent politiquement et quotidiennement sur des questions essentielles pour le cadre de vie, et cela parfois depuis des décennies. En Italie, deux cents écomusées, reconnus par une douzaine de régions autonomes comme acteurs légitimes du développement des territoires au titre de la gestion du patrimoine commun, sont des relais et des interlocuteurs populaires, ou même des outils, des administrations locales. En Grande Bretagne, ce transfert de pouvoir aux citoyens en groupe s’appelle empowerment.

 

En France même, d’innombrables programmes de développement local ont pratiqué efficacement cette co-décision. J’ai moi-même participé au programme Pollen à Bouguenais (44) dans les années 90. A Grande Synthe (59), un atelier populaire d’urbanisme rendait une partie de la population capable de donner un avis éclairé qui était sollicité et pris en compte par la mairie. Le travail des Conseils de développement dans les Pays et les grandes intercommunalités (lois de 1999 et 2015), sous forme de saisine ou d’auto-saisine, a été et est encore souvent facteur d’orientation des politiques publiques et parfois de co-décision. Toute l’histoire des cinquante dernières années du développement local dans le Mené en Bretagne, dans le Beaufortain en Savoie, dans le Toulois en Lorraine, découle de formes innovantes de participation des habitants.

 

Il me semble donc que le premier et principal objectif de ce grand Débat National devrait être de proclamer la légitimité de la participation populaire aux décisions, d’abord locales, puis de plus en plus régionales et nationales, et de rechercher les méthodes et les conditions de sa mise en œuvre. La disponibilité montrée par de très nombreuses communes, depuis quelques semaines, pour animer de type de débat est de bon augure, à condition que la démarche soit prise au sérieux et favorisée dans la longue durée et au-delà des échéances électorales, aussi bien par les pouvoirs politiques supérieurs que par les citoyens eux-mêmes.

Partager cet article
Repost0
28 décembre 2018 5 28 /12 /décembre /2018 10:12

J'ai reçu cinq nouveaux ouvrages, de quatre pays, dans quatre langues et sur quatre sujets très différents.

1. Anna Chiara Cimoli (ed.), Approdi - Musei delle migrazioni in Europa, Bologna, 2018, Clueb, 297 p.

Après une synthèse très utile sur la muséologie des migrations, de Anna Chiara Cimoli (p. 19-59), l'ouvrage présente plusieurs musées de la migration en Europe: Catalogne, Danemark, Allemagne (Bremerhaven), Italie (Gênes), France (Paris), Belgique (Anvers) et Pologne (Gdynia). On trouve ensuite des points de vue variés sur les principes et les pratiques, les objectifs et les missions des musées et des expositions relatifs aussi bien à l'émigration qu'à l'immigration, puisque les pays européens sont presque tous, maintenant, à la fois émetteurs et récepteurs de migrants.

 

2. Fabien Van Geert, Xavier Roigé, Lucrecia Conget (Ed.), Usos politicos del patrimonio cultural, Universitat de Barcelona, 2016, 237 p.

Voici enfin mis sur la place publique l'affirmation et la démonstration, e théorie et  en pratique, de la fonction et de l'usage politique du patrimoine culturel et des musées qui le servent. A partir d'exemples pris en Espagne, au Mexique et au Chili (en particulier chez les Mapuches et à l’Île de Pâques), le patrimoine apparaît non seulement comme un facteur de défense et de construction d'identité, mais aussi de revendication des droits des autochtones et de volonté d'"empowerment".  L'Amérique Latine montre le chemin, avec le développement des musées communautaires comme des outils d'affirmation de la liberté et de la capacité d'initiative réellement endogène de la part de communautés qui ne sont plus des objets de recherche ethnographique ou d'attraction touristique, mais bien des sujets de développement et d'avenir.

 

3. Maria Dorotéa de Lima (Ed.), O Norte do Brasil: Identificação e Reconhecimento do Patrimônio Cultural, Revista do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, n°37, IPHAN, Brasília, 2018, 340 p.

Ce livre et le deuxième tome qui suit marquent un effort coordonné et cohérent pour reconnaître et caractériser les patrimoines des États et des régions du Nord du Brésil, dans leurs dimensions aussi bien naturelle que culturelle, matérielle que immatérielle. Une riche illustration montre les gens et les choses, les artefacts et les paysages, les villes et la campagne, avec une attention toute particulière pour les communautés autochtones. L'IPHAN ouvre ici très largement le concept de patrimoine, loin des traditionnels monuments et autres vestiges historiques et archéologiques.  Il rend hommage et justice aux spécificités du Nord du pays, moins connu que les grandes métropoles et zones côtières du Centre et du Sud. On peut seulement regretter l'absence de cartes permettant de situer les situations présentées, dans ce pays immense.

 

4. Maria Dorotéa de Lima (Ed.), O Patrimônio do Norte: Outros Olhares para a Gestão, Revista do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, n°38, IPHAN, Brasília, 2018, 320 p.

On se trouve là au milieu des défis que pose un patrimoine aussi riche, aussi diversifié et aussi fragile à une administration nationale comme l'IPHAN, mais aussi aux autorités locales. Problèmes de diversité culturelle, de langues, de climat, de distances, de mise en œuvre de l'interdisciplinarité, de réponse aux enjeux de la modernité...  C'est un exercice courageux qui pourra jouer un grand rôle aussi bien dans les stratégies locales d'éducation patrimoniale que dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques du patrimoine et du développement soutenable des territoires.

 

5. MUCEM, Georges Henri Rivière - Voir, c'est comprendre, Mucem, Marseille, 2018, 304 p.

Il s'agit du catalogue de l'exposition (novembre 2018-mars 2019) consacrée à la vie et à l’œuvre du Georges Henri Rivière, homme de culture, fondateur du Musée national des Arts et Traditions Populaires (MNATP) à Paris dont les collections ont été récemment incorporées au Musée national des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM), situé à Marseille. C'est un hommage à l'homme qui a, pendant près de cinquante ans, fondé l'ethnologie française, sauvegardé dans les collections et le laboratoire des ATP les restes des cultures locales préindustrielles, aidé à naître les écomusées, mais aussi joué un rôle de premier plan dans la muséologie mondiale, comme directeur de l'ICOM et comme expert reconnu de la muséographie moderne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0