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25 février 2024 7 25 /02 /février /2024 15:41

J'avais préparé une intervention en vidéo lors la conférence du MINOM (Mouvement International de la Nouvelle Muséologie) qui vient de se tenir à Catane, en Sicile (22-23 février 2024). Un incident technique m'a empêché de la présenter. Mais comme j'avais pas mal réfléchi à cette occasion sur quelques aspects de l'évolution de la nouvelle muséologie depuis cinquante ans, je me suis dit que cela valait la peine, au moins pour moi tout seul, de rédiger ce que j'avais prévu de dire.


 

Les débuts et l'évolution de la nouvelle muséologie, depuis les années 1960

Je dois tout d'abord rendre un hommage personnel à tous les inventeurs de la nouvelle muséologie, dont j'ai eu la chance de de connaître un grand nombre et qui m'ont appris ce que c'était de concevoir et de mettre en œuvre des projets novateurs qui allaient à l'encontre des normes établies, tant en matière de patrimoine que de musées. Pour ne mentionner que celles et ceux qui sont morts, je citerai par ordre alphabétique Marie-Odile de Bary (France), Fernanda Camargo Moro (Brésil), Marcel Evrard (France), Jan Gjestrum (Norvège), John Kinard (Etats-Unis), Marc Maure (France / Norvège), Pierre Mayrand (Québec), Odalice Priosti (Brésil), Pablo Toucet (France / Niger), Georges Henri Rivière (France), Mario Vazquez (Mexique)...

*

Il faut ensuite parler des dates qui ont marqué l'émergence de ce mouvement collectif et imprévu venu de plusieurs pays et porté par des individualités fortes, qui n'étaient pas toutes, du moins au début, des professionnels des musées. Après les premières initiatives isolées dans les années 60 (les musées nationaux du Mexique en 1964, les musées de voisinage aux États-Unis au moment de la lutte pour les droits civiques, le Musée national de Niamey au Niger lors de la décolonisation), c'est en 1971 et 1972 que trois évènements indépendants se produisent: la VII° Conférence Générale de l'ICOM en France et l'invention du mot écomusée en 1971, la Table ronde de Santiago du Chili en 1972, l'invention d'une nouvelle forme de musée communautaire au Creusot en 1971-1972 qui deviendra l'Écomusée de la Communauté urbaine du Creusot-Montceau en 1974.

Une dizaine d'années plus tard, on verra apparaître les premiers écomusées au Québec et la création du MINOM (1980-1985). En 1992, au moment du Sommet de la Terre, la première rencontre internationale des Écomusées, à Rio de Janeiro, accompagne les premiers écomusées brésiliens. Dans cette même décennie des années 90, l'Italie voit naître un grand nombre d'écomusées, dotés de lois régionales qui leur donnent un statut et une légitimité. Enfin, en 2000, se forme le réseau des musées communautaires d'Amérique Latine.

Il faudrait ajouter d'autres dates qui marquent l'expansion des écomusées et en général de différentes formes de nouvelle muséologie dans de nombreux pays, en particulier au Japon, en Norvège, en France, en Scandinavie, en Espagne, en Chine, etc.

*

Lors de la XVI° Conférence générale de l'ICOM, à Québec en 1992, j'ai présenté une synthèse des débats des différents organes de la Conférence dont le thème était: "Où en sommes-nous ? Quelles devraient être les prochaines étapes ?". J'y notais déjà les évolutions de plus en plus divergentes des deux principales formes de musées:

"L'incompréhension ne peut être que totale entre un musée national, représentant la culture officielle d'un pays, éventuellement affirmant et illustrant son «identité» de nation, et un musée communautaire, reposant sur la mobilisation des différentes composantes de la population d'un territoire, et sur des arbitrages difficiles entre les objectifs et les intérêts sectoriels de ses membres.

Là l'inversion des définitions est totale: les buts poursuivis ne sont pas les mêmes et l'on se demande comment ils peuvent cohabiter dans des structures administratives et dans des procédures réglementaires conçues pour les premiers, lorsque les seconds n'existaient pas encore."i

Je ne parlais pas alors de "nouvelle muséologie" mais, plus de trente ans après mon rapport de Québec, je peux maintenant essayer de préciser les principales directions qui ont été prises par les différents initiateurs de ce mouvement et qui restent encore plus ou moins actuelles. Elles sont à mon avis au nombre de quatre, qui se recoupent plus ou moins, selon le contexte local et les intentions de chaque porteur de projet:

- l'ouverture sur l’environnement, la nature, le paysage

C'est le concept d’origine de l'écomusée, en 1971, qui devait accompagner le premier Sommet des Nations Unies sur l'environnement, à Stockholm en 1972. Il s'appliqua aux écomusées des parcs naturels régionaux français dans les années 70, à l'écomusée d'Itaipu, premier de ce type au Brésil en 1987, à des écomusées liés à des programmes "Agenda 21" après le sommet de Rio en 1992, notamment en Italie.

- la modernisation critique de la muséologie et de la muséographie

Elle s'applique le plus souvent à des musées petits ou moyens existants, pluridisciplinaires, par l'introduction des nouvelles technologies de la communication, de la présentation, de la numérisation et en général une refonte des musées de territoire ou de "société" qui s'ouvrent à la population environnante et à un tourisme de proximité.

- une gestion démocratique du patrimoine vivant

C'est le type de projet que l'on appelle habituellement écomusée ou musée communautaire: la population y est associée à l'initiative, aux décisions, à travers des méthodes diverses de mobilisation, de participation, d'éducation patrimoniale, d'inventaire de proximité, de capacitation.

- une muséologie militante ou politique

Elle s'applique à des milieux minoritaires, opprimés (autochtones, groupes ethniques, catégories défavorisées...) qui revendiquent des droits matériels et/ou moraux et s'appuient sur la mémoire collective et sur des patrimoines souvent immatériels. Elle est généralement associative ou même informelle, en tout cas peu institutionnalisée et apporte des arguments et des outils à des luttes sociales.

Chaque tendance a suivi et suit encore des chemins qui lui sont propres, même si l'on trouve des recouvrements dus aux contextes et à l'évolution de chaque projet local. Dans la plupart des cas, la collection n'est pas centrale, même si elle représente un matériau utile, et même indispensable, pour la connaissance, l'exposition, la recherche, la pédagogie.


L'invention de nouveaux modes de gestion du patrimoine vivant

Il me semble que les principes de la muséologie traditionnelle, axés sur la conservation de collections, par des professionnels qualifiés, selon des méthodes scientifiques, au profit de publics, selon des règles éthiques et des législations ou des définitions nationales et internationales, ne sont pas adaptés aux pratiques nouvelles qui ont été progressivement inventées par les personnes et les groupes qui s'inscrivent dans la nouvelle muséologie. Ces pratiques, que j'ai qualifiées d'"hérétiques" dans un texte rédigé avec l'aide d'Odalice Priosti en 2005ii, peuvent être caractérisées par trois objectifs qui se combinent pour formuler une gestion radicalement différente du patrimoine, celui-ci étant bien entendu globalisé au niveau du territoire, indifféremment matériel ou immatériel, naturel ou culturel:

- le patrimoine est géré, consciemment et volontairement par ses héritiers eux-mêmes, qui en sont à la fois les propriétaires et les usagers, qui fondent leur légitimité;

- le patrimoine est géré, non pas en fonction de sa qualité liée au passé, mais essentiellement en fonction de sa valeur pour le temps présent et de la volonté de le transmettre pour les générations futures;

- le patrimoine n'est pas géré, juridiquement et scientifiquement, comme un trésor à conserver intact et inaliénable, il est à la fois reconnu, préservé et transformé en tant que ressource naturelle, culturelle, sociale et économique pour l'équilibre et le développement du territoire et de la communauté.


Un nouveau paysage muséal et de nouvelles relations entre musées et gens de musées

Il y a cinquante ans, il y avait, dans le monde des musées, essentiellement l'ICOM, ONG internationale professionnelle, des associations nationales de musées ou de professionnels de musées et des associations nationales et locales d'amis des musées. Dans le domaine du Patrimoine, il y avait l'ICOMOS, ONG sœur de l'ICOM, et des associations nationales et locales "de sauvegarde".

A partir des années 1980, on assiste à une nouvelle configuration du monde des musées et du patrimoine et à une multiplication des initiatives de regroupement des nouveaux musées et des nouveaux professionnels ou militants du patrimoine.

- des associations ou groupements nationaux se créent: Muséologie Nouvelle et Expérimentation sociale (MNES, France) puis Fédération des Ecomusées et Musées de Société (FEMS, France), Association des écomusées du Québec (Canada), Japan Ecomuseological Society (JECOMS, Japon), Mondi Locali (Italie), Associação Brasileira de Ecomuseus e Museus Comunitários (ABREMC, Brésil), Unión Nacional de Museos Comunitarios y Ecomuseos de México (Mexique), MINOM Portugal, etc.

- parallèlement à la multiplication des formations universitaires de professionnels de musées et de muséologie, l'Universidade Lusófona (ULHT, Portugal) développe un enseignement spécifique à la Muséologie sociale (master et doctorat), une revue et des publications, tandis que dans de nombreux pays des mémoires, des thèses, des publications académiques et des articles sont publiés sur des sujets relevant de la nouvelle muséologie, de la muséologie sociale, de la socio-muséologie. Des séminaires nationaux sont aussi organisés à l'initiative des associations d'écomuséologie, de socio-muséologie, de muséologie communautaire, etc., afin de capitaliser l'expérience des projets et réalisations venant du terrain.

- des initiatives transnationales naissent, surtout depuis les années 2000, pour faire se rencontrer des expérimentateurs et échanger des idées, des pratiques, des méthodes: les cinq Rencontres internationales (EIEMC) organisées au Brésil entre 1992 et 2015, la Red de Museos comunitarios de America, le Forum des écomusées et musées communautaires de Milan en 2016, la plateforme en ligne DROPS qui lui a succédé, les échanges Italie-Brésil “Distanti ma uniti / Distantes mas unidos” pilotés depuis 2020 par Raul Dal Santo et Nádia Almeida, le programme européen Ecoheritage, etc.

- devant la dynamique de cette muséologie alternative, nouvelle, innovante, le système international lui-même devait changer. La création du MINOM (1984) qui obtient le statut d'association affiliée à l'ICOM et la succession de ses ateliers provoquent une ouverture du comité international pour la muséologie de ce même ICOM, l'ICOFOM, qui donne de plus en plus de place aux pratiques et aux expériences de la nouvelle muséologie. Enfin, la création officielle du Comité international de l'ICOM pour la socio-muséologie (SOMUS, 2023) marque la reconnaissance d'une discipline académique propre.

La célébration de la nouvelle dynamique internationale du MINOM à Catane les 21 et 22 février 2024 et celle de la muséologie sociale à Rio de Janeiro du 20 au 23 mars de la même année symbolisent bien ce rééquilibrage entre le monde des praticiens d'une part et celui des théoriciens et des chercheurs d'autre part.

 

Une évolution des modes et des techniques de communication

Depuis mes années à l'ICOM et mes voyages dans le monde entier, tant de choses ont changé dans les rapports entre musées et gens de musées ! J'ai été témoin des réunions où venaient surtout les représentants des grands musées, surtout d'art et surtout européens ou américains du Nord, qui avaient les moyens de voyager. Je me souviens de notre remarquable Centre de documentation UNESCO-ICOM dont le fichier des musées était tenu à la main sur des fiches cartonnées. Il y avait ces réunions internationales organisées par correspondance (air-mail...) ou par télégrammes. Et il fallait des visas et des traveller-checks pour voyager, même dans des pays très voisins.

Maintenant, voyages et télécommunications sont faciles entre pays et entre musées et le nombre de membres de l'ICOM, de comités nationaux et internationaux a considérablement grandi. Les conférences générales rassemblent des milliers de participants.

Internet a transformé la circulation de l'information. Les relations informelles entre les personnes: les emails, les sites web locaux et nationaux, les plateformes internationales, le pluri-linguisme et la traduction en ligne ont rendu les échanges et les contacts faciles et même souvent quasiment immédiats.

Des réseaux locaux, régionaux, nationaux, internationaux se sont créés, avec leurs outils de communication, même parfois en dehors des structures officielles. Et les "réseaux sociaux" offrent des capacités de regroupements, de circulation d'images, de diffusion rapide de nouvelles et d'idées qui n'existaient pas il y a seulement trente ans.

Grâce aux contraintes de la pandémie, à la généralisation de la vidéo-transmission et à des technologies nouvelles, les non-professionnels, les militants de causes sociales, culturelles, politiques, les acteurs locaux les plus modestes ont commencé à communiquer, à se faire connaître à confronter en temps réel leurs expériences et leurs propositions

Cette évolution, certes, comporte des risques de confusion, de superficialité, de rapidité excessive, mais j'ai l'impression que la "nouvelle" muséologie a acquis en cinquante ans une légitimité , une capacité créative et une complexité qui l'éloignent des traditions et des pratiques de la muséologie traditionnelle. Elle n'est plus dans la marge du monde muséal, dans des cas exceptionnels qui justifiaient le terme d'"hérétiques". C'est probablement une autre muséologie.

 

Quelques conclusions personnelles

A côté de la vie relativement stable et très réglée des musées traditionnels qui vivent et évoluent selon des pratiques professionnelles reconnues et enseignées, j'observe depuis une cinquantaine d'années la multiplication de nouveaux types et de nouvelles familles de musées qui veulent se distinguer par leurs objectifs, leurs méthodes, leurs spécificités: écomusées, musées communautaires, musées autochtones, musées militants, non-musées, contre-musées, musées alternatifs ou alter-musées. On pourrait dire que ce sont des "musées de missions".

Je constate aussi la multiplication des échanges entre les acteurs du patrimoine et de ces musées et leur implication croissante dans la vie sociale de leur communauté et de leur territoire : professionnels, volontaires, chercheurs, militants, partenaires locaux ou extérieurs collaborent à un projet ou à des projets situés dans le temps et dans l’espace, qui répondent à des objectifs d'intérêt collectif ou général.

Mais, alors que l'ICOM vient de modifier à nouveau la définition du musée qui va progressivement s'imposer à l'ensemble des institutions muséales et aux professionnels qui en ont la charge, je ne peux que constater l'absence, naturelle et normale, de modèle, de label, de définition académique pour tous ces musées différents, même s'ils ne sont plus vraiment "nouveaux". Chacun en effet est inventé, en fonction de ses objectifs explicites ou implicites et de ceux de ses fondateurs, de la communauté qui le porte, du contexte local. Beaucoup en outre ne portent pas le nom de musée et certains évitent même de se référer aux normes muséales habituelles pour ne pas être contraints à des règles qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas suivre.

 

Pour terminer et en pensant à l'avenir, je me bornerai à oser deux questions, auxquelles je me garderai bien de répondre:

- ces musées sont-ils pérennes, ou accompagnent-ils un besoin, une envie, un moment ou une nécessité ?

- ces musées sont-ils encore des musées ?

 

i Actes de la XVI° Conférence générale, ICOM, p.68

ii de Varine, Hugues, Le musée communautaire est-il hérétique ?, texte inédit consultable en ligne sur Le https://www.hugues-devarine.eue communautaire est-il hérétique ?

 

 

 

 

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22 novembre 2022 2 22 /11 /novembre /2022 10:18

Je ne suis pas professionnel de musée, mais il faut bien parler plus spécifiquement de l'évolution de l'institution-musée depuis Santiago. Dès la Conférence générale de l'ICOM en 1971, il avait été clair que le musée devait s'adapter aux changements du monde contemporain. Les interventions de Mario Vazquez et de Stanislas Adotevi à Grenoble, et même les discours de Jacques Duhamel et de Robert Poujade avaient entraîné la décision de revoir la définition du musée et d'y inclure la mission de développement.  Ce fut chose faite en 1974, à Copenhague. La Conférence de Kyoto (2019), puis celle de Prague (2022), ont été plus loin et repris l'esprit de Santiago en lui ajoutant un vocabulaire moderne étendu à des concepts et à des préoccupations qui correspondent au monde des années 2020. Tout cela est bien, mais reste du niveau de la théorie et des principes de l'institution-musée.

(Je me permets de noter que j'ai écrit un petit livre sur mes années à l'ICOM (1962-1974), que l'on peut trouver sur mon site web: http://www.hugues-devarine.eu/book/documents/book. On peut trouver également des informations sur cette période dans mon livre "L’Écomusée singulier et pluriel", Paris, L'Harmattan, 2017, qui a été édité en espagnol et en italien.)

De mon point de vue, qui est celui du territoire et du développement local, je préfère regarder en quoi le musée a effectivement changé, du point de vue du développement local, c'est à dire de la gestion du patrimoine sur les territoires.

 

Qu'est-ce qui a changé dans les fonctions traditionnelles de l'institution ?

 

La collection reste au cœur du musée, du moins dans sa forme officielle et réglementée, mais elle est doublement contestée:

- par la demande de restitution provenant des personnes et des pays victimes soit de confiscations d'objets et d’œuvres d'art (par exemple pendant la seconde guerre mondiale), soit de vols au titre de butin de guerre lors des conquêtes coloniales, soit encore de détournements illégaux lors de fouilles clandestines, de guerres civiles ou simplement de trafics internationaux;

- et aussi par un nombre toujours croissant de structures ou d'institutions, appelées musées ou non, qui ne

considèrent pas la collection comme l'essentiel de leur action, mais un élément parmi d'autres. Un colloque récent au Portugal (Fundão, 2022) a souligné l'importance des non-musées, qui s'affranchissent de certaines normes muséologiques mais exercent des missions importantes qui sont actuellement celles des musées.

Si les fonctions de conservation, d'accueil du public, d'éducation, n'ont guère changé, il faut noter l'entrée du numérique dans le monde des musées aussi bien pour le traitement des collections que pour l'exposition et en général le rayonnement du musée en dehors de ses murs. Cela a atteint une importance considérable pendant la pandémie du Covid 19 et les différentes périodes de confinement, où les musées ont surtout communiqué virtuellement avec leurs publics. De plus, de nouvelles approches s'appliquent à la communication avec le public, comme la "médiation" qui implique la prise en compte de l'intelligence, des connaissances et de la culture vivante de ce public dans l'interprétation des expositions, permanentes ou temporaires.

Les nouveaux musées qui se sont créés ou transformés pendant cette période ont aussi modifié leurs méthodes de travail, en recherchant de nouveaux publics, en sortant de leurs murs pour faire circuler leurs collections, en faisant entrer au musée de nouvelles formes d'action artistique (art contemporain vivant; musique, danse, etc.).

Tout cela peut être considéré comme une évolution allant dans le sens souhaité à Santiago, sans pour autant remettre en cause la formule du musée traditionnel, qui reste l'esclave de sa collection et des champs scientifiques auxquels elle appartient, et qui est obsédé par son public essentiellement érudit, captif et touristique. On peut se demander pourquoi tous les efforts faits par les responsables de ces musées, leurs services communicants et éducatifs et les porteurs d'activités diverses (numériques, musicales, artistiques...) n'ont pratiquement jamais véritablement réussi à  élargir leurs publics à l'ensemble de la population du territoire, avant de prendre en compte les visiteurs extérieurs. 

En fin de compte, et quitte à choquer certains, mon expérience me pousse à appeler ces institutions, qui peuvent aller du Musée du Louvre au dernier musée ethnographique local, des musées collectionneurs, car, dans la décision finale, c'est toujours l’intérêt de la collection qui prime.

 

Tout un monde de nouveaux musées, porteurs de nouveaux schémas

 

A côté des musées traditionnels, changés ou non, nous constatons depuis trente ou quarante ans l'émergence de nouveaux musées et de nouvelles manières de préserver et de gérer le patrimoine et la mémoire, et aussi de présenter les grandes questions qui intéressent notre monde actuel. Sans vouloir proposer une typologie, je choisirai de citer deux tendances :

- des musées qui sont créés par  des communautés ou des groupes, en vue de défendre des intérêts et des causes spécifiques. Ils ne sont pas nécessairement appuyés principalement sur le patrimoine ou la mémoire, mais leur font souvent appel pour soutenir des argumentaires et enrichir discours et présentations. Ces musées concernent par exemple les luttes des femmes ou des LGBT, l'identité ou les revendication de communautés autochtones, des problèmes sociaux ou du travail, etc. Je propose de les appeler des musées activistes. Ces musées militent pour des causes, ils sont des outils politiques, éducatifs ou sociaux.

- des musées qui combinent les trois composantes du territoire, de la communauté et du patrimoine, sans nécessairement respecter les normes muséologiques et dont les responsables sont généralement des volontaires (bénévoles), plus ou moins encadrés ou accompagnés par des professionnels et des experts "engagés" à leurs côtés. On peut les appeler musées communautaires, même si la dimension collective prend des fomes variables, selon les lieux et les circonstances. On y trouve les écomusées, ou du moins ceux qui défendent les caractéristiques liées à ce mouvement,  et de nombreuses structures qui ne portent pas ce nom, que le colloque de Fundão a proposé d’appeler non-musées.

A noter que les museos comunitarios d'Amérique Latine appartiennent aux "musées activistes", au côté des musées autochtones, car ils ont une démarche clairement politique, même si  ce sont aussi des musées de territoire, représentatifs de leur population et fortement impliqués dans la gestion communautaire du patrimoine local.

La pandémie que nous vivons a bien mis en valeur la spécificité de ces nouveaux musées: alors que les musées traditionnels, professionnels, dépendant des lois nationales et des moyens mis à leur disposition par les budgets publics ou privés, ont fermé leurs portes pendant les périodes de confinement, pour tenter seulement de maintenir une fiction d'activité par le numérique, de très nombreux musées activistes ou communautaires sont restés actifs, et parfois même inventifs et innovants, parce que leurs murs et leurs collections n'étaient pas au cœur de leurs préoccupations, et parce que leurs acteurs effectifs faisaient effectivement partie de leurs communautés respectives.

 

Une question de responsabilité

 

La Table ronde de Santiago ne s'adressait pas à des musées, mais à des directeurs de musées publics et les intervenants, experts latino-américains dans les principaux secteurs du développement régional, leur parlaient comme à des collègues, qui étaient comme eux acteurs de la vie publique des États, des villes et des territoires où ils servaient et qu'ils servaient. Et il était clair pour tous que l'on était conscient d'une responsabilité. Mais de quelle responsabilité ? Je crois que la déclaration finale a décidé: c'était une responsabilité intégrale, du musée et de ses responsables vis-à-vis de la société, c'est-à-dire de la communauté humaine à laquelle ils appartenaient.

Il ne s'agissait pas en effet seulement de la responsabilité institutionnelle "réglementaire" sur les collections, sur la qualité des activités culturelles et scientifiques, sur l'accueil et l'éducation ou la satisfaction des visiteurs, il s'agissait bien de la responsabilité d'agir, avec tous les moyens de l'outil-musée pour répondre aux besoins de la communauté, aux côtés et en collaboration avec les autres outils disponibles, techniques, culturels, éducatifs, sociaux, sanitaires, économiques, administratifs. C’est à dire passer du service du musée au service de la société.

La récente nouvelle définition internationale du musée approuvée par l'ICOM va dans ce sens et peut ainsi être considérée, de l’extérieur, comme s'inscrivant dans la continuité de Santiago, et aussi d'autres manifestations collectives à la fois d'un changement de mentalité des professionnels et d'un vrai désir de nouvelles pratiques (Québec, Oaxtepec, Guwahati, Faro, Sienne...). Elle reste cependant encore largement théorique et seuls les musées ou non-musées activistes et communautaires ont massivement contribué à inventer des muséologies que j'appelle "inculturées", en ce qu'elles émanent, ou tentent d'émaner des sociétés, des cultures et des contextes qu'elles veulent à la fois représenter et servir, ou plutôt dont elles se sentent responsables.

 

 

 

 

 

 

 

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22 novembre 2022 2 22 /11 /novembre /2022 10:11

La déclaration de Santiago est restée dans la mémoire des professionnels du musée et du patrimoine comme ayant mis en avant la notion de "musée intégral", ou intégré dans la société, non pas la Société en général, mais  bien la société à laquelle appartient l'institution, sa collection, ses moyens humains et matériels. C'est à dire que le musée, ou toute structure publique et privée de gestion du patrimoine commun, est, devrait être ou devrait devenir un acteur du territoire au service de la communauté.

Mais la société change et se transforme, avec le temps et le passage des générations. Ses besoins, ses demandes, ses goûts évoluent naturellement. Des évènements prévisibles ou imprévus, intérieurs ou extérieurs à la communauté, changent les données culturelles, sociales, climatiques, économiques qui doivent être prises en compte dans les décisions d'intérêt général. Par conséquent, les politiques du patrimoine (naturel comme culturel) et toutes les institutions qui en dépendent doivent changer et se transformer pour accompagner au plus près la société dans la durée. Sinon ces politiques et ces institutions risquent de perdre à la fois leur pertinence et leur légitimité.

Or, depuis cinquante ans, si l'esprit de Santiago demeure vivant et pertinent, le monde et nos sociétés ont beaucoup changé et des changements encore plus considérables sont à venir. Sans vouloir me lancer dans une analyse socio-politique pour laquelle je ne suis pas compétent, je voudrais commenter rapidement trois termes qui me paraissent indiscutables et incontournables, tant pour refléter ce qui s'est passé depuis Santiago que pour être prêts à nous adapter à ce qui va nous arriver, quels que soient notre pays, notre culture, nos choix stratégiques, ou l'avenir de nos territoires.

Ces trois termes sont les suivants: globalisation, territorialisation, patrimonialisation.

 

Globalisation

 

La culture, qu'elle soit élitiste ou populaire, suit des modèles plus ou moins internationaux, inspirés par les modes et les pratiques des pays et des populations qui ont atteint un haut niveau de prospérité, de confort, de qualité de vie. Ce haut niveau devient un besoin, voire une obsession, qu'il s'agisse de loisirs, de consommation, de mobilité. Des valeurs dites universelles (droits humains, démocratie, liberté, etc.) sont promues par la plupart des pays et des organisations internationales, gouvernementales ou non, qui représentent un consensus mondial, même lorsqu’elles sont contestées par certains pays ou certains régimes.

Le patrimoine culturel et naturel, matériel et immatériel, étiqueté national et même mondial, est soit respecté et préservé comme un capital inaliénable de l'humanité, soit attaqué pour des raisons idéologiques ou religieuses, soit dispersé commercialement au profit des collectionneurs publics et privés. Mais là encore, il y a consensus sur la valeur patrimoine, avec son double sens de valeur culturelle et de valeur matérielle. Cette valeur est tellement reconnue qu'elle fait l'objet, depuis longtemps et semble-t-il de plus en plus, d'un marché également globalisé d'échantillons minéraux, d'objets archéologiques, d’œuvres d'art, alimenté par des fouilles clandestines, des conflits locaux et des vols et encouragé par la passion ou l'obsession des collectionneurs, qu'ils soient amateurs, spéculateurs ou malheureusement responsables de musées.

Les flux touristiques, devenus une caractéristique et une nécessité des sociétés d'abondance et des classes riches et moyennes des sociétés "émergentes", exigent toujours plus de conditions d'accès et de jouissance, de services et de confort selon des normes et des environnements identiques partout. Il sont aussi, pour de nombreux pays riches en patrimoine, une ressource économique globale qui peut tendre à remplacer d'autres types d'activités traditionnelles ou simplement moins rémunératrices.

La pandémie actuelle, elle aussi globale, et ses conséquences pour les relations entre les humains, la multiplication et la poursuite de conflits, les crises qui se succèdent, l'impact des changements climatiques sur les conditions de vie de millions d’individus ont créé un sentiment général (et global) d'insécurité et de précarité qui favorise non seulement la recherche d'un avenir différent et de technologies efficaces, mais aussi un retour au passé, notamment par un ancrage rassurant dans le patrimoine personnel et collectif.

 

Territorialisation

 

Le global, sous ces diverses formes, échappe à la compréhension et au pouvoir d'agir de la plupart d'entre nous et même des communautés auxquelles nous appartenons, même s'il conditionne ou influence malgré nous notre mode de  vie. En réalité, et Santiago l'avait bien compris et exprimé, c'est le territoire, ou plutôt les territoires auxquels nous appartenons que nous pouvons maîtriser collectivement et c'est à son niveau et à son échelle que la plupart d'entre nous peuvent avoir un rôle actif, une utilité sociale.

Le territoire est le lieu de la vie sociale et de l'action collective/communautaire, qu'elles soient de la famille, du village ou du quartier, de l'entreprise, de l'association ou du syndicat, de l'école. C'est une réalité multiple et multiforme, qui pratique une culture vivante, évolutive, ouverte sur l'extérieur mais consciente de ses racines et capable de créativité.

Le territoire contient une mémoire collective et des mémoires particulières, elles-mêmes vivantes et susceptibles d'oublis et de choix, ou même de changements d'interprétation. Il contient un patrimoine, aussi vivant que la culture locale, c'est un "commun", une propriété collective.

C'est le cadre du développement local, où toutes les énergies et les ressources disponibles peuvent être inventoriées et mobilisées selon des stratégies et des programmes que l'on veut soutenables, c'est à dire à la fois dynamiques et raisonnés, associant et combinant les dimensions environnementale, sociale et économique de la vie des citoyens, qui sont en même temps héritiers, usagers et parties-prenantes de leur(s) territoire(s).

 

Patrimonialisation

 

Pendant ces cinquante années et même un peu plus car nous devons tenir compte de ce que l'après-guerre et la décolonisation nous ont apporté comme changements de regard et de statuts pour nous-mêmes et chez nos voisins proches ou lointains, un triple phénomène est apparu et a pris une place de plus en plus importante dans les politiques publiques et les pratiques sociales, sous le nom de patrimoine qui recouvre des sens et des manifestations très différents.

Il y a le patrimoine personnel, familial qui se transmet en principe de génération en génération et dont une part au moins peut avoir une valeur extra-familiale, ne serait-ce qu'au sein de la communauté d'appartenance et du territoire (traditions, savoirs, habitat, propriétés participant de l'économie commune...). Il est très vivant dans la mesure où il se perd et se crée, en fonction des goûts, des modes, des variations de l'économie familiale.

A l'opposé, on trouve le patrimoine reconnu pour sa valeur universelle, dont les catalogues les plus connus sont les listes de l'UNESCO, mais aussi les inventaires des collections publiques des musées. Cette énorme masse de biens naturels et culturels, matériels et immatériels est en principe protégée, conservée, mise en valeur par des législations spécifiques et des institutions dédiées, nationales et, depuis exactement cinquante ans (Convention UNESCO de 1972 et ses déclinaisons ultérieures), internationales. Ce patrimoine "officiel" est, de fait, retiré à la responsabilité des citoyens, des communautés, et même des petites collectivités locales. Il est étroitement lié, depuis plus de cinquante ans, à l'essor du tourisme avec lequel il est en symbiose: le "grand" patrimoine est un facteur de soft power et d’attractivité des États, tandis que les flux économiques du tourisme financent directement ou indirectement la protection du patrimoine.

Enfin, depuis une cinquantaine d'années également, est apparu le nouveau concept de patrimoine vivant. Il recouvre, partout dans le monde, tout ce que les citoyens et les communautés reconnaissent comme "leur" patrimoine, dont ils souhaitent garder la responsabilité et la propriété individuelles et collectives, au nom de critères affectifs, de sa valeur d'usage et de son appartenance au territoire. Il fait l'objet, de plus en plus, d'initiatives individuelles et surtout collectives, émanant de la communauté ou de certains de ses membres, prenant la forme d'associations, de manifestations spontanées de défense et de mise en valeur, ou encore d'institutions privées ou publiques locales, musées de communautés, de territoires, écomusées, etc. Il ne s’agit pas ici de le protéger et de le mettre à l'abri pour une meilleure conservation, mais d'en prendre soin et de le maintenir au service de la communauté et de ses membres, de façon soutenable et évolutive. C'est donc une gestion participative et responsable du patrimoine.

 

*

 

Il me semble que les gestionnaires du patrimoine, s'ils veulent profiter et s'inspirer de l'esprit de Santiago, sans cesser de remplir leurs missions d'inventaire, de collecte, de conservation, de présentation et d'éducation selon les principes de leurs professions respectives, devraient plus s'attacher à une connaissance concrète et approfondie du monde actuel et de leur environnement immédiat, dans toutes leurs dimensions et dans leur évolution dans le temps, pour être en mesure d'assumer leur rôle d'acteurs et de serviteurs de la société et de sa transformation, en tant que gestionnaires dynamiques du patrimoine dont ils ont la charge. C'est un autre sujet, celui de la co-responsabilité des acteurs du patrimoine,  qui n'a pas été suffisamment approfondi à Santiago et depuis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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12 novembre 2022 6 12 /11 /novembre /2022 11:34

 

Cette année 2022 a été marquée, pour de nombreux professionnels du patrimoine et des musées, jeunes et moins jeunes, par des réflexions et des débats sur la déclaration de la Table Ronde de Santiago du Chili (1972), sur ses suites et sur la situation actuelle des politiques institutionnelles et des pratiques de terrain. Les nouvelles modes et techniques d'échanges à distance découlant de la pandémie ont considérablement élargi l'accès de très nombreux acteurs locaux à ces débats, qui auraient autrefois été limités à une élite de chercheurs et de représentants de grands musées, surtout artistiques ou scientifiques.

J'ai personnellement participé à quelques unes de ces rencontres, de façon virtuelle, surtout comme observateur et non comme participant, n'étant plus moi-même acteur, physiquement et intellectuellement. Mais je ne peux pas m'empêcher d'exprimer quelques analyses et des opinions, en tant que témoin de la Table Ronde de Santiago et des évolutions de la muséologie et des pratiques de gestion du patrimoine pendant les cinquante dernières années.

Tout d'abord, un rappel: la Table Ronde de Santiago, décidée par l'UNESCO, organisée par l'ICOM et accueillie par le Chili, en mai 1972, s'est distinguée des réunions analogues tenues antérieurement (Jos 1964, New-Delhi 1966) par deux caractéristiques: les experts invités à animer les séances étaient tous latino-américains et spécialistes des principaux domaines du développement social et économique dans le continent (et non pas des musées); la seule langue de communication était l'espagnol (l'anglais et le français ayant été éliminés comme non pertinents et le portugais accepté sous la forme du "portunhol").

Les participants représentaient soir des administrations publiques soit des grands musées nationaux. Sur le moment et dans les années suivantes, la déclaration finale, rédigée principalement par Mario Vazquez (Mexique) et Carlos de Sola (El Salvador), n'a pas eu d'influence réelle sur les politiques de musées ou du patrimoine dans les pays d'Amérique Latine. Seule l'expérience de la Casa del Museo, pilotée par Mario Vazquez, a tenté un application des principes de Santiago. Politiquement, les régimes autoritaires qui ont existé dans nombre de pays de la région jusqu’aux années 1980 n'ont pas favorisé l'adoption de politiques novatrices dans le domaine culturel. La conférence de Caracas, en 1992, voulue par l'UNESCO pour évaluer l'impact de Santiago vingt ans après la Table Ronde, a montré que cet impact était très faible sur les grands musées.

Mais, c'est cette même année 1992 que la première rencontre internationale des écomusées s'est tenue à Rio de Janeiro, dans le cadre du Sommet de la Terre. En effet, à la suite de la Conférence générale de l'ICOM de 1971, un mouvement s'était développé, sans relation directe avec la Table Ronde et la déclaration de Santiago, sous les nom de nouvelle muséologie, d'écomusées ou de musées communautaires, à partir d'initiatives locales de petites dimensions, faisant appel à une mobilisation des forces vives des territoires, prenant des formes variées, principalement en France, au Canada, au Brésil, en Scandinavie, au Mexique, et plus tard en Italie, au Portugal, en Chine, etc. De nouvelles déclarations ont été publiées, allant dans le même sens que celle de Santiago (Québec 1984, Oaxtepec 1984, Guwahati 1988).

C'est dans les années 2000 environ, à mon avis, que l'esprit de Santiago a rejoint et nourri ces centaines de projets locaux, sans toutefois entraîner de vrais changements dans les politiques publiques du patrimoine et dans les pratiques des grands musées d'art, d'histoire et de sciences, qui sont restés traditionnels et attachés aux notions de collection, de conservation, d'éducation et de public. L'ICOM au plan international et ses déclinaisons nationales, comme les associations de professionnels de musées, traditionnellement conservatrices (au deux sens du terme) ont certes débattu du rôle social et culturel du musée, mais seulement au niveau des idées, soutenues par de rares expériences ponctuelles, sans que des changements effectifs apparaissent, dans les lois nationales, dans les pratiques professionnelles et dans les structures corporatives.

Finalement, les instances de l'ICOM, suivies par les autorités nationales, ont fini par discuter à Kyoto en 2019 puis adopter à Prague en 2022, une définition du musée qui reprend certains concepts et certains principes qui étaient déjà présents à Santiago il y a cinquante ans et qui avaient déjà été largement diffusés et mis en pratique depuis par les écomusées, les musées communautaires, des milliers d'associations locales du patrimoine, des mouvements politiques de reconquête ou de restitution des patrimoines autochtones. On peut s'en féliciter, mais il faut rester vigilants et attendre de voir si des changements réels interviendront dans les grandes institutions qui sont les modèles du "Musée" et lui offrent des références idéologiques et scientifiques, malgré la pression toujours plus forte du tourisme et du marché des biens dits "culturels".

(Suite un jour prochain)

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5 mars 2021 5 05 /03 /mars /2021 15:52

En principe, et surtout en pratique, un écomusée n'est pas un musée normal: la collection n 'est pas son objet principal, l'exposition n'est pas son seul langage et, même lorsqu'il a des professionnels salariés, il est aussi animé par des membres de la communauté. C'est à dire que, lorsque les musées et autres institutions culturelles sont obligés de fermer leurs portes pendant les périodes de confinement plus ou moins strict du temps de pandémie, le territoire de l'écomusée et le patrimoine vivant qui se trouve sur ce territoire ou dans les familles des habitants ne sont pas concernés par le confinement et continuent à exister et à vivre.

Il y a d'innombrables exemples d'écomusées et de musées communautaires, dans de nombreux pays, qui ont inventé des activités et des méthodes qui leur ont permis, non seulement d'utiliser les moyens de la technique (internet ou les réseaux sociaux, etc.), mais aussi de faire des choses nouvelles sur leur territoire, avec ou par leur population.

Un seul exemple que je viens de trouver sur internet: l'Ecomuseo delle Acque de Gemona (Frioul, Italie) a lancé le programme "Amica Mucca" pour l'adoption par des volontaires intéressés d'une vache choisie parmi celles d'une laiterie tournante, la dernière existante sur son territoire. Voir http://www.latteriacampolessi.it/amicamucca.pdf. Un patrimoine vivant est ainsi reconnu et protégé, avec les savoir-faire et les emplois correspondants, C'est un succès qui montre bien que l'écomusée n'est pas fermé...

Ce temps de pandémie, même s'il entraîne des conséquences dramatiques d'ordre humain, social, économique, permet à tous les écomusées, mais aussi à tous les projets patrimoniaux qui s'occupent du patrimoine vivant sur des territoires déterminés, de montrer la voie d'une prise de conscience de la ressource que ce patrimoine peut représenter pour chacun d'entre nous et pour l'ensemble de nos communautés, comme facteur d'éducation, de loisir, de développement personnel et collectif. Et cela selon des modalités et des formes qui ne sont pas virtuelles, qui ne nécessitent aucun "protocole" particulier, puisque tout se passe sur un territoire ouvert avec les paysages et le patrimoine commun, chez les gens eux-mêmes avec leur patrimoine domestique ou mental, entre des professionnels ou des bénévoles militants qui n'ont pas besoin de se rencontrer physiquement.

Les musées traditionnels pourraient en prendre de la graine et laisser reposer leurs collections et leurs expositions pour aller vers leurs territoires et vers les populations qui les entourent.

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5 janvier 2021 2 05 /01 /janvier /2021 11:36

Il y a quelques jours, la Fédération (française) des écomusées et musées de société (FEMS) a publié un communiqué de presse en solidarité avec les musées de France, pour réclamer la réouverture des musées, actuellement fermés pour cause de pandémie. On peut comprendre une telle démarche, surtout de la part des musées de société qui partagent avec les plus grands musées des soucis de collections, de manifestations (expositions), de publics. Mais on peut regretter que ce n'ait pas été l'occasion de rappeler que les écomusées, selon les principes actuellement agrou verontdmis dans la plupart des pays, portent sur des territoires, des populations et des patrimoines: les collections sont secondaires, les visiteurs extérieurs s'ajoutent seulement aux habitants qui sont les premiers acteurs du musée et le territoire comme le patrimoine qui s'y trouve sont en permanence accessibles et ne dépendent pas d'horaires d'ouverture.

Par conséquent, on ne voit pas pourquoi un écomusée serait "fermé", alors que son patrimoine reste vivant et disponible. La FEMS avait d'ailleurs, pendant le premier confinement, en mars-avril dernier, diffusé une liste très riche et très variée d'initiatives prises par ses membres pour démontrer comment leurs activités pouvaient continuer. Dans de nombreux pays il en a été de même ; on a même pu constater une créativité exceptionnelle et la naissance de réseaux de coopération.

On peut aussi penser que les habitants des territoires qui ont la chance de pouvoir disposer d'un écomusée, ou d'un musée communautaire, peuvent trouver dans l'offre de participation à la gestion et à la mise en valeur du patrimoine vivant qui leur est commun une manière de lutter contre la morosité, l'inactivité, le déficit de relations sociales qui résultent du confinement et des autres mesures de sécurité sanitaire.

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12 février 2020 3 12 /02 /février /2020 14:47

Ce n'est pas tous les jours que le Conseil International des Musées (ICOM) se penche sur la place et le rôle des musées dans le développement local. Depuis près de cinquante ans, les praticiens des musées évoluent progressivement du soin exclusif de leurs collections à une prise en compte plus franche de la société et du monde d'aujourd'hui. On assiste aussi à une confrontation entre une vision universaliste de la culture où le patrimoine et le musée s'adressent à un public essentiellement scolaire et touristique, et une volonté de privilégier le service au territoire le plus proche, en lui rendant et en interprétant à son intention son patrimoine vivant.

Depuis près de cinq ans, un programme européen de recherche et d'expérimentation (EU-LAC Museums) s'est intéressé aux musées d'initiative ou d'animation communautaire en Europe, en Amérique Latine et dans les Caraïbes. Cela a amené un groupe de muséologues et d'universitaires à regarder de près de nombreux musées locaux, leurs relations aux populations environnantes, leurs pratiques environnementales, culturelles, sociales, économiques, et naturellement leur impact sur le développement de leurs territoires. Voir sur ce programme https://eulacmuseums.net.

Dans le même temps, l'ICOM, en partenariat avec le programme LEED de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique, composée de 36 pays membres industrialisés), mettait au point et publiait en édition numérique, en 2019, un ouvrage intitulé Culture and Local Development - Maximizing the Impact, sous titré "Guide for local Governments, Communities and Museums". Il existe actuellement en anglais, en espagnol et en italien. Des versions française et japonaise sont annoncées. Pour en savoir plus sur le projet, en langue française, voir http://www.oecd.org/cfe/leed/OECD-ICOM-Guide-Flyer-FR.pdf.

Enfin, la revue Museum International vient de publier son dernier numéro (Vol. 71, 283-284, 2019) sur Museums & Local Development - An Introduction to Museums, Sustainability and Well-being, sous la responsabilité de Karen Brown (University of St Andrews, Scotland), qui est également la co-coordinatrice du programme EU-LAC. Ce numéro de Museum International contient un grand nombre d'exemples concrets, finement analysés, tirés de pays très divers, Grèce, Pologne, Italie, Pérou, Canada, Finlande, Nigeria, Colombie, Grande Bretagne, Croatie, Pakistan, où les musées ont choisi de mettre en œuvre des méthodes et des actions qui contribuent au développement local. Ce numéro (en anglais seulement) est téléchargeable sur https://www.tandfonline.com/toc/rmil20/current, ou par le site de l'ICOM (https://icom.museum).

Je recommande particulièrement ce numéro, très riche en idées et en expériences, et agréable à lire ou à consulter. Comme on le constatera, il n'est pas nécessaire de débattre à perte de vue sur des définitions plus ou moins ambitieuses du musée, mais il suffit d'aller voir, sur le terrain, comment des gens de musée lucides et courageux adaptent leurs pratiques à leur environnement et au temps présent, sans s'embarrasser de théories.

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21 septembre 2019 6 21 /09 /septembre /2019 17:57

Tout le monde maintenant parle de participation et il est vrai que l'évolution des théories et des pratiques de nos démocraties, surtout à l'échelle des territoires, rend l'engagement et l'implication des citoyens dans la solution des problèmes qui les concernent directement, non seulement souhaitable, mais aussi et surtout indispensable si l'on recherche à la fois non pas l'efficacité immédiate mais l'utilité sociale et la soutenabilité à long terme des projets et des actions qui contribuent à la qualité de l'environnement et de la vie de chacun d'entre nous et de nos communautés de proximité.

Des expériences anciennes et d'autres très récentes m'ont amené à réfléchir à la manière dont cette participation, lorsqu'elle est au moins partiellement obtenue, est reconnue et récompensée à sa juste valeur. Certes, on ne manquera pas dans des discours ou des rapports de décrire le degré de participation obtenue, d'en féliciter les acteurs et d'en signaler les effets sur les résultats constatés. Mais ce sont généralement les porteurs de projets, les autorités responsables, les financeurs publics ou privés qui attireront à eux l'essentiel de la lumière, à travers par exemple une inauguration, l'apposition d'une plaque, un communiqué de presse, une exposition et naturellement des publications, scientifiques ou de vulgarisation.

Il est plus rare que des individus, membres de la population, qui ont été associés au projet, qui ont apporté des connaissances ou des savoirs-faire, qui ont contribué manuellement ou intellectuellement, parfois même qui ont été à l'origine de l'action ou déterminants dans son succès, reçoivent en retour le bénéfice social et l'effet d'image qu'ils seraient en droit d'attendre, comme une sorte de droit-d'auteur non financier.

Il y a longtemps que j'ai constaté cette absence de reconnaissance publique, notamment de la part de certains anthropologues, collecteurs d'objets, de musiques, de traditions, preneurs d'images ou de films, qui n'auraient pu rien faire sans des informateurs, des érudits locaux, des musiciens ou des chanteurs, etc. Ils vont publier des articles, des livres, des disques, soutenir des thèses, qui leur assureront la notoriété et faciliteront leurs carrières, mais celles et ceux qui les auront aidés, à part quelques sous si ce sont des "indigènes", ou leurs noms dans des listes en annexe, n'auront que le statut d'informateurs.

Plus récemment, j'ai assisté à la présentation d'une exposition qui relatait une découverte archéologique importante, faite par hasard par deux habitants qui avaient ensuite participé à son étude et à sa mise en valeur, en particulier par des photographies qui avaient rendu possible l'exposition elle-même. Il semblait que, la découverte une fois faite, ses inventeurs n'étaient plus utiles et laissaient toute la place aux spécialistes qui étudiaient et aux politiques qui inauguraient.

Cela m'a rappelé une expérience vécue à l'écomusée du Creusot-Montceau, à la fin des années 1970. Devenu célèbre en France et à l'étranger comme opération innovante et nettement participative, il a attiré de nombreuses équipes de chercheurs universitaires qui trouvaient sur ce territoire une grande richesse pour leurs programmes de recherche ou leurs thèses et qui obtenaient en outre le soutien matériel de l'écomusée et de son personnel, mais surtout un accès au réseau considérable des habitants qui avaient accepté d'apporter leurs mémoires vivantes, leurs savoirs, leurs biens culturels personnels aux activités de leur écomusée. On avait voulu établir un règlement spécial pour les chercheurs, pour encadrer leurs pratiques et les publications qui en résulteraient, dont l'une des clauses principales précisait que les habitants qui auraient participé aux recherches devraient être non seulement consultés sur les textes produits avant publication, mais surtout considérés et reconnus comme co-auteurs (et non pas comme de simples informateurs anonymes). Cette clause n'a jamais été ni comprise, ni respectée par les chercheurs, malgré une première réunion expérimentale très décevante, en 1977, dédiée à l'examen et à la discussion par des groupes d'habitants volontaires des premiers résultats des recherches en cours.

Je crois que l'on peut parler de discrimination : la valeur des savoirs des gens "ordinaires", de leurs compétences professionnelles, de leur mémoire, n'est pas reconnue à égalité avec celle des savoirs académiques. Et surtout, ces gens ordinaires ne sont pas supposés intervenir dans la rédaction finale des articles ou des thèses dont ils ont donné au moins une partie de la matière et parfois même l'essentiel du sens.

Cette question d'un droit d'auteur partagé, ou d'un statut de co-auteur, ne relève sans doute pas (ou pas encore) d'une réglementation quelconque, mais je pense qu'elle devrait faire partie de la déontologie du travail scientifique et des pratiques éditoriales, cela d'autant plus que les co-auteurs non-académiques seraient ainsi obligés à une plus grande rigueur dans leurs contributions, tandis que les co-auteurs académiques devraient se plier à un contrôle d'exactitude sur leurs propres interprétations et conclusions.

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13 août 2019 2 13 /08 /août /2019 16:31

Il y a toujours du nouveau dans les écomusées italiens. C'est maintenant en Lombardie qu'il faut aller pour découvrir un remarquable programme d'accréditation des écomusées par le Conseil régional qui, après l'adoption de la loi régionale des écomusées de 2006, a commandité une évaluation de la trentaine d'écomusées existants, puis a adopté, après un long travail de concertation avec le Réseau qu'ils constituent, un règlement portant sur les conditions d'accès à l'accréditation des écomusées par la Région. Je crois que ce document est extrêmement important et pourrait inspirer bien des écomusées dans de nombreux pays, en leur offrant des idées de méthode qui pourraient servir, soit pour la création d'un écomusée, soit pour son évaluation, soit pour apporter des corrections à ses pratiques, soit encore pour sa communication auprès de ses autorités locales. Ce règlement pourrait aussi inspirer des réseaux nationaux d'écomusées. Je me suis permis, avec l'accord de Raul Dal Santo, coordinateur de l'Ecomuseo del Paesaggio de Parabiago et animateur du réseau des écomusées de Lombardie, d'en faire une traduction aussi fidèle que possible (mais je ne suis pas un traducteur très expérimenté) en français. Raul va en faire autant en anglais.

Voici donc ce règlement lombard de l'accréditation des écomusées.

 

 

Conditions minimums exigibles

pour l’accréditation des écomusées par la Région de Lombardie

(Cette mise à jour fait suite à une opération générale d’évaluation des écomusées lombards qui s’est déroulée en 2017, en coopération entre la Région et le Réseau des écomusées de Lombardie)

 

Références

Texte complet de la Loi régionale 25/2016 : http://normelombardia.consiglio.regione.lombardia.it/NormeLombardia/Accessibile/esportaDoc.aspx?type=pdf&iddoc=lr002016100700025

Texte original des Requisiti Minimi (Conditions minimum) : https://sites.google.com/site/ecomuseidellalombardia/gruppi-di-lavoro/rappresentanza/revisione-requisiti-e-monitoraggio

 

Préambule

La loi régionale 25/2016, article 19, définit les écomusées comme des “institutions culturelles constituées par des collectivités locales, des associations, des fondations ou d’autres organismes de caractère privé sans but lucratif, qui remplissent, au sein d’un espace territorial défini et avec la participation active de la population, des communautés locales, des institutions culturelles scientifiques et éducatives, des  collectivités et institutions locales, les fonctions d’entretien, de gestion, de valorisation et de sauvegarde du patrimoine culturel et paysager local représentatif d’un milieu, des modes de vie et de leurs transformations.”

La Région promeut la constitution, l’accréditation et le suivi des écomusées. Elle en soutient l’activité en vue de conserver et de renouveler l’héritage culturel vivant de certains territoires et des populations qui les habitent, de favoriser des processus de développement soutenable basés sur le patrimoine local, de sauvegarder les paysages typiques de la Lombardie et de valoriser la diversité culturelle des lieux. Elle favorise le développement de l’activité en réseau et l’utilisation des ressources européennes, nationales et privées au profit des écomusées.

Lors de la présentation d’une demande d’accréditation, l’écomusée doit prouver qu’il est en possession des conditions minimum énumérées dans le présent document.

 

Préalable

L’écomusée devra présenter un contact téléphonique et une adresse mail, afin de rester joignable pour toute demande d’information. On indiquera en particulier les coordonnées du coordinateur de l’écomusée, qui sera l’intermédiaire privilégié pour toute communication entre l’écomusée et les services régionaux préposés au suivi des activités écomuséales.

 

TITRE I – L’INSTITUTION

 

La constitution d’un écomusée doit prendre la forme d’un acte constitutif et d’un règlement.

Peuvent constituer un écomusée:

  • des collectivités locales, individuellement ou en association;
  • des associations;
  • des fondations;
  • des institutions privées sans but lucratif.

 

Condition 1 – Acte constitutif et Règlement

L’écomusée doit être doté d’un acte constitutif spécifique qui précise sa nature d’organisme permanent et sans but lucratif.

L’acte constitutif doit contenir le nom, la marque déposée, le siège légal et institutionnel, la mission, le mode  de gestion choisi (qui garantit la continuité dans le temps de l’action menée sur le territoire) et la ou les caractéristiques particulières de l’écomusée, le patrimoine culturel et paysager qu’il s’engage à entretenir, à gérer; à valoriser et à sauvegarder avec la participation active de la communauté.

L’écomusée doit disposer d’un règlement écrit spécifique qui indique le mode de gestion, ainsi que les règles de fonctionnement et de programmation des activités, et

  • les modalités de la planification participatives et de la programmation des activités écomuséales;
  • les modalités d’obtention des ressources financières et des moyens matériels et humains dont il aura besoin pour la réalisation de son plan d’action, comportant l’utilisation des fonds européens et des crédits nationaux et privés disponibles pour l’écomusée;
  • les modalités d’implication et de participation active de la population et des autres acteurs du territoire.

 

Condition 2 – Consentement libre et informé

La création de l’écomusée doit être l’expression d’une large participation de la part de la communauté et des personnes morales et physiques, publiques et privées qui le composent. La population locale, comme les institutions culturelles scientifiques et éducatives, les entités et associations locales, les acteurs économiques et éventuellement les personnes concernées sont appelés à exprimer, avec leur consentement libre et conscient leur adhésion au projet écomuséal. Ce consentement peut être exprimé sous les formes les plus adéquates et représentatives de cette volonté (une simple lettre, une adhésion formelle, une convention, un accord de collaboration, la signature citoyenne, etc.).

 

Condition 3 – Siège

Pour garantir la stabilité et la pérennité de l’action de l’écomusée, celui-ci doit avoir la propriété ou la disponibilité d’un siège permanent, identifiable et reconnaissable.

Au cas où le siège ne serait pas sa propriété, sa disponibilité devra être garantie par des documents formels qui lui assurent une pérennité raisonnable dans le temps.

 

Condition 4 – Dénomination et marque déposée

L’écomusée doit avoir une dénomination exclusive et originale ainsi qu’une marque et un logo qui le caractérisent. L’écomusée doit utiliser, dans toutes les initiatives qu’il prend, sa dénomination exclusive et sa marque.

 

TITRE II – PROJET ECOMUSEAL

 

Le patrimoine écomuséal est constitué de l’héritage culturel vivant et des biens culturels, matériels, immatériels et paysagers qui existent sur le territoire de référence.

Le patrimoine écomuséal est l’expression du milieu, des modes de vie et de leurs transformations.

Le patrimoine écomuséal est l’expression de la culture de la communauté locale; il doit donc être défini avec la participation de la population.

Pour obtenir l’accréditation régionale, l’écomusée doit produire un projet écomuséal complet et soutenable qui, à l’issue d’un diagnostic préalable, définit:

  • le territoire de référence;
  • le patrimoine culturel et paysager, matériel et immatériel qui doit être sauvegardé;
  • le personnel dédié à l’activité écomuséale;
  • les activités réalisées avant la demande d’accréditation;
  • les objectifs stratégiques qu’il s’agit d’atteindre dans la planification des activités.

 

Condition 5 - Territoire

L’écomusée doit se référer à un territoire spécifique bien identifié et délimité, lié à une histoire et à une identité culturelle, sociale et économique définies et homogènes. L’écomusée est l’expression de ce territoire et représente son identité culturelle, qui est celle de sa communauté.

L’aire territoriale doit être précisée à partir des éléments suivants:

  • représentation cartographique, de préférence numérisée et géo-référencée;
  • histoire du territoire et de ses transformations;
  • éléments identitaires contemporains;
  • éléments culturels, paysagers, environnementaux et socio-économiques spécifiques à l’aire choisie, ainsi que l’héritage culturel vivant qui la caractérise par rapport à d’autres contextes territoriaux.

Afin d’éviter les superpositions, il ne peut être accrédité qu’un seul écomusée sur un territoire donné.

 

Condition 6 – Patrimoine

L’écomusée doit indiquer le patrimoine culturel et paysager, matériel et immatériel dont il entend prendre soin, qu’il s’engage à gérer, sauvegarder et valoriser, avec une attention particulière portée à l’héritage culturel vivant.

Le patrimoine de l’écomusée doit être:

  • décrit de manière participative, par exemple à travers la réalisation de la mappa di comunità;
  • cartographié, de préférence en mode numérique et géo-référencé;
  • structuré selon des thèmes principaux, liés à la spécificité de l’écomusée;
  • organisé en itinéraires culturels (au sens de l’article 20.1, de la loi régionale 25 du 7 octobre 2016, en s’attachant à l’intégration des établissements et lieux de culture, des sites régionaux inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, des parcours et des itinéraires historiquement documentés, y compris ceux qui sont inscrits sur les cartes du plan paysager régional, et des biens culturels d’importance historico-architecturale et monumentale.

 

Condition 7 Personnel de l’écomusée

Les fonctions de l’écomusée peuvent être assurées seulement sous la condition de la présence du personnel professionnel qualitativement et quantitativement nécessaire, en termes de capacité et de  responsabilité, à son fonctionnement, et aussi en accord avec d’autres structures.

L’écomusée doit garantir la présence d’un expert, occupant les fonctions de coordinateur/référent de l’écomusée, qui sera responsable de la coordination des activités de l’écomusée et qui aura la fonction de représentant officiel de l’écomusée auprès des institutions et de la population.

L’expert devra démontrer, par son curriculum vitae et ses diplômes, la compétence technique et scientifique nécessaire à la gestion de l’écomusée. Les tâches confiées au coordinateur devront être formalisées dans un contrat de mission.

L’écomusée doit garantir la présence des ressources humaines, y compris sur une base de volontariat,  qui contribueront au développement des activités écomuséales, à la réalisation des projets et à la gestion des structures.

Il est recommandé à l’écomusée de se doter d’au moins un référent scientifique, qui peut être le coordinateur lui-même, possédant des compétences multidisciplinaires relatives aux diverses activités de l’écomusée.

 

Condition 8Activités et projets

L’écomusée doit pouvoir démontrer sa capacité à être autonome dans la réalisation de ses projets et dans son autofinancement. En vue de son accréditation, cette capacité doit être présentée et documentée par l’écomusée sous la forme d’activités s’adressant directement au territoire lui-même et avec l’implication de la population locale, au moins depuis la date de fondation officielle de l’écomusée. Devront être documentées les activités de promotion, d’étude et de recherche relatives aux contenus et aux tâches de l’écomusée ainsi que ses activités d’éducation et de formation. Ces activités devront être soutenues par un programme adéquat de communication et de diffusion.

Ces activités devront être valorisées et constituer le point de départ du projet écomuséal, exigé par le processus d’accréditation.

En particulier les activités prévues par le projet écomuséal, relatives aux cultures traditionnelles, à l’histoire orale, aux savoirs locaux, aux biens immatériels et, plus généralement, aux biens culturels qui relèvent de la recherche ethno-anthropologique, devront respecter les normes techniques de l’Archivio di Etnografia e Storia Sociale (AESS) de la Région Lombardie.

 

Condition 9 – Stratégie et Planification

L’écomusée doit concevoir sa planification de façon participative, élaborer son programme annuel de manière concertée et peut intégrer les Plans intégrés de la culture (article 37 de la loi régionale 25/20116). La demande d’accréditation de l’écomusée doit comporter une planification à long terme, partagée avec les différentes parties prenantes, et un programme d’activités (au moins annuel, si possible pluriannuel) à réaliser à la suite de la demande d’accréditation, dans lequel soient définis les objectifs stratégiques de développement local soutenable de nature sociale, environnementale et économique, en référence aux enjeux globaux définis par les objectifs de développement 2030 des Nations Unies, parmi lesquels la justice climatique.

Le programme prévoira:

  • les objectifs de tutelle et de mise en valeur;
  • les procédures, la méthode et les stratégies d’organisation et d’action;
  • les activités, les interventions et les initiatives à réaliser;
  • l’activité du centre d’information et de documentation;
  • les activités de recherche, d’éducation et de culture en cohérence avec les finalités et caractéristiques de l’écomusée, ainsi que ses projets éducatifs et pédagogiques;
  • le partenariat avec les institutions scientifiques, les universités, les écoles, les musées, les parcs, les instituts de recherche et/ou de conservation, et avec les associations culturelles en général;
  • le plan financier de gestion qui garantisse la pérennité de l’écomusée;
  • le budget de ressources de l’écomusée comprenant les chapitres suivants: ressources propres, financements publics, financements privés et prospective à moyen terme;
  • l’identification des partenaires dans la mise en œuvre de l’écomusée et la preuve de leurs engagements;
  • les entités qui collaborent économiquement avec l’écomusée;
  • les activités économiques soutenables que l’on entend développer;
  • les bâtiments, les structures et les sites à valoriser, les parcours et les itinéraires de visite, de préférence pour cyclistes et piétons;
  • la formation des opérateurs, y compris des volontaires;
  • la planification dans le temps de la réalisation du programme;
  • la liaison avec les instruments de programmation régionale et locale;
  • les ressources humaines et financières nécessaires à la réalisation du programme;
  • les modalités de vérification et de contrôle de l’état d’avancement du programme et des impacts sur le développement soutenable attribuables à l’action de l’écomusée.

 

TITRE III – RAPPORTS AVEC LA POPULATION ET LES ORGANISMES PUBLICS ET PRIVES

 

L’écomusée doit être l’expression des principes de subsidiarité, soutenabilité, responsabilité et participation des organismes publics et privés et de la population locale. En conséquence, l’écomusée doit promouvoir et faciliter des processus permanents de participation active de la population, des communautés locales, des institutions culturelles, scientifiques et éducatives, des entités et associations locales qui contribuent à l’inventaire, l’entretien, la gestion, la mise en valeur et la sauvegarde du patrimoine culturel et paysager local. Les rapports avec les structures culturelles et de volontariat présentes sur le territoire doit être organisé et défini, afin d’améliorer la coopération et le partenariat.

 

Condition 10 – Rapports avec la population

Le consensus social et la participation sont des conditions incontournables pour l’obtention de l’accréditation de l’écomusée par la région. La participation concrète de la population locale s’exprime dès la création même de l’écomusée à travers le consentement libre et informé des personnes qui adhèrent au projet écomuséal. L’écomusée doit indiquer les modalités d’implication et de participation active de la population locale au projet écomuséal aux divers niveaux de la participation :

  • information ;
  • consultation ;
  • concertation (codécision) ;
  • action partagée.

L’action de l’écomusée doit se faire de façon participative : l’inventaire du patrimoine culturel, par exemple, peut être construit par la création de laboratoires de citoyenneté active pour la construction de mappe di comunità, ou pour la réalisation d’itinéraires culturels ; la planification des activités doit faire participer activement la population à la prise de décision.

L’écomusée peut mettre en œuvre des accords de collaboration, formels ou informels.

 

Condition 11 – Rapports avec les institutions locales

L’écomusée doit indiquer les modalités de ses rapports avec les institutions locales, que ce soit par une participation à ses propres organes statutaires, ou par des accords ou conventions relatifs au développement de ses activités.

L’écomusée peut contribuer à fournir aux institutions chargées de l’élaboration des instruments de planification :

  • la liste des éléments du patrimoine culturel et naturel, sélectionnés avec la participation de la communauté, en tant que patrimoine stratégique pour atteindre des objectifs de qualité paysagère ;
  • une collaboration pour l’identification des éléments de lecture propres aux spécificités du territoire et des caractéristiques identitaires du système paysager, environnemental, règlementaire et infrastructurel.

 

Condition 12 – Rapports avec les institutions culturelles, éducatives et le volontariat

L’écomusée doit indiquer les modalités d’engagement des associations volontaires et des institutions culturelles et éducatives présentes sur le territoire, y compris par la signature de conventions spécifiques.

L’écomusée doit indiquer le rapport de collaboration qu’il entretiendra avec les structures publiques et les autres entités socioculturelles (comme par exemple les musées, les bibliothèques, les archives, les écoles, les parcs). L’écomusée participe aux groupes de travail relatifs aux écomusées ou aux musées, promus par la Région Lombardie, et peut collaborer aux activités promues par les réseaux d’écomusées à niveau régional, national et international.

 

Condition 13 – Rapports avec les milieux économiques locaux

L’écomusée doit développer ses relations avec les structures dédiées au développement économique local et avec les opérateurs économiques productifs (artisanat, industrie et agriculture) et des services (acteurs culturels, touristiques et créatifs), présents sur le territoire, afin de contribuer à un projet de développement coordonné et soutenable.

Pour améliorer la coopération et le partenariat, les relations avec les personnes morales  publiques et privées opérant sur le territoire doivent être définies avec précision, c'est-à-dire que doivent être fournis les actes (conventions, etc.) qui documentent les modalités d’intervention de ces interlocuteurs.

L’écomusée peut encourager l’initiative entrepreneuriale visant à créer des parcours de visite intégrés qui favorisent la découverte de produits locaux et les échanges culturels entre les visiteurs et les résidents.

 

TITRE IV – INFORMATION, COMMUNICATION, DOCUMENTATION

 

L’écomusée doit communiquer avec les divers organismes et institutions présents sur le territoire et peut collaborer aux activités promues par les réseaux d’écomusées au niveau régional, national et international

Les écomusées doivent être dotés d’un centre d’information/documentation, et sont tenus de développer et de promouvoir la recherche scientifique et pédagogique dans les domaines de l’histoire, de l’art, des traditions locales et de l’environnement, et à en diffuser les résultats ou en favoriser la divulgation.

 

Condition 14 – Communication

L’écomusée doit s’attacher à informer la population sur tout de qui concerne son activité et les initiatives qu’il promeut. En particulier, il doit avoir mis en œuvre des formes de communication numérique dédiées et mises à jour (un site web et/ou un compte sur les réseaux sociaux).

L’écomusée publiera, avec droits de publication libres, les inventaires du patrimoine, accompagnés de notices explicatives, les cartes du patrimoine et du territoire et les itinéraires culturels.

 

Condition 15 – Centre d’information/documentation

L’écomusée doit se doter d’une structure servant de centre d’information pour les visites à l’écomusée (il peut se trouver dans le siège de l’écomusée) ; cette structure, qui devra garantir une ouverture continue pendant toute l‘année, avec des horaires à préciser et à communiquer au public, pourra être dotée d’un espace permettant le rassemblement d’éventuelles collections et de locaux d’exposition. Dans ce cas, devront être clairement indiqués les services proposés par le centre et les modalités de consultation de la documentation, soit en ligne, soit sur place.

 

TITRE V – MODALITES ET CALENDRIER DE LA PRESENTATION DES DEMANDES D’ACCREDITATION, DE SUIVI ET DE REVOCATION DE L’ACCREDITATION REGIONALE

 

  1. Présentation de la demande

Pour pouvoir présenter sa demande d’accréditation, l’écomusée doit exister depuis au moins douze mois avant la date limite de dépôt de la candidature, et justifier d’une activité correspondant à la finalité écomuséale, selon les termes de l’article 19 de la loi régionale 25/2016, entreprise et structurée avec la participation active de la communauté de référence.

Seront également pris en considération les écomusées déjà précédemment accrédités par la Région qui ont entrepris un processus de réorganisation, par exemple par rapport au territoire concerné ou relative aux communautés ou collectivités adhérentes.

La Région Lombardie annoncera l’accréditation dans ses décisions officielles publiées périodiquement.

 

  1. Suivi

Le suivi des écomusées sera effectué selon la procédure suivante :

  • tous les deux ans, chaque écomusée remplira un questionnaire d’autoévaluation présentant les résultats obtenus, les projets réalisés, les accords formels et informels passés avec les collectivités et institutions du territoire qui se sont concrétisés et ont engendré de nouvelles activités et de bonnes pratiques, les impacts induits par l’action de l’écomusée en matière de modes de travail (dimension méthodologique), de culture (dimension relationnelle et sociale), et de qualité du paysage (dimension physique). Devront être signalées les éventuelles modifications intervenues dans les statuts et règlements, dans la redéfinition des référents de l’écomusée ou de ses adhérents, et aussi des limites du territoire pris en compte ou des types de patrimoine à gérer.
  • tous les six ans la Région Lombardie effectuera un contrôle sur place sur un échantillon d’écomusées. Ce contrôle aura pour but de vérifier l’état de fait et l’observation des conditions d’accréditation, en particulier sur les sites où auraient été rencontrées des difficultés lors des auto-évaluations antérieures.
  • en cas de besoin, et en particulier pour les écomusées qui auraient reçu des recommandations ou des prescriptions précises, la Région Lombardie pourra effectuer des vérifications sur place, ou demander des réponses écrites spécifiques, pour en vérifier l’application.

 

  1. Révocation de l’accréditation régionale

Au cas où un écomusée accrédité, à la suite d’un contrôle, ne remplirait pas une ou plusieurs des conditions ci-dessus, il sera invité par la Région Lombardie à se mettre en règle dans un délai de six mois.

Si ce délai n’est pas respecté, le Conseil régional procèdera à la révocation de l’accréditation.

La révocation de l’accréditation comporte la perte du droit à accéder aux cofinancements régionaux destinés aux écomusées accrédités et à l’utilisation de la marque régionale des écomusées.

 

 

 

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7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 17:23

Franck Riester est le ministre français de la Culture. Il a prononcé le 4 juillet, à l'Institut de France, devant un parterre d'académiciens et de personnalités du monde des arts et de la culture, en particulier des musées et du patrimoine, un discours dont on peut trouver le texte écrit sur :

http://www.culture.gouv.fr/Presse/Discours/Discours-de-Franck-Riester-ministre-de-la-Culture-prononce-a-l-occasion-du-forum-Patrimoines-africains-reussir-ensemble-notre-nouvelle-cooperation-culturelle-jeudi-4-juillet-2019.

 

Le ministre a traité des problèmes posés par les relations culturelles entre la France et l'Afrique, en insistant plus particulièrement sur la question de la restitution de patrimoines africains à leurs pays et cultures d'origine, à la suite du discours du Président Macron à Ouagadougou et du rapport Sarr-Savoy qui en a été la conséquence. Même si je ne suis pas un expert de ces questions, il me semble important de commenter, ou même de rectifier, certains passages du discours ministériel, du point de vue du simple bon sens et aussi de l'histoire des relations politiques et culturelles entre l'Europe et l'Afrique. Voici donc reproduits en italique quelques extraits significatifs que je me permettrai de commenter et de questionner.

 

Notre pays est le dépositaire d’un patrimoine fait de chefs d’œuvres inestimables. Parmi ce patrimoine, de nombreux chefs d’œuvres ont été créés en Afrique.

Je crois qu'il ne faut pas confondre ce qui constitue le patrimoine de la France et des français, avec les éléments de patrimoines appartenant à d'autres pays et à d'autres peuples qui peuvent se trouver sur notre territoire (dans nos musées ou dans des collections privées) à la suite d'un transfert de propriété dû à des circonstances variables, légitimes ou non. Un objet nigérian ou coréen fait partie du patrimoine nigérian ou coréen, même s'il se trouve dans un musée ou une collection en France. Le fait d'avoir été aimé ou étudié par un artiste ou un intellectuel français ne lui donne pas un caractère patrimonial pour la France.

D'autre part, pourquoi parler de chefs d’œuvre, ou même plus simplement d’œuvres. C'est un vocabulaire issu de l'histoire de l'art qui reflète le regard et l'appréciation portée sur des objets, ici évidemment africains, par des spécialistes européens qui se réfèrent à leur seuls véritables critères de qualité et de valeur, qui sont artistiques. Mais que ces objets aient d'abord et peut-être exclusivement une valeur historique, politique, religieuse, technique, sociale pour le pays et le peuple au patrimoine desquels ils appartiennent, ne semble pas poser de problème au ministre.

 

Rappelons-nous l’influence décisive que les arts du continent africain ont eu sur les artistes européens.

Je ne peux m'empêcher de voir dans cette phrase l'idée que ce seraient les artistes européens (il cite ensuite Picasso, évidemment) qui auraient "inventé" les arts africains, à partir d'objets qu'ils ne comprenaient pas et dont ils ne voyaient que des formes dont ils décidaient de s'inspirer.

 

Ne reprochons donc pas à nos musées d’être ce qu’ils sont. Ils donnent à voir le monde et la création artistique dans sa diversité. Ils sont les messagers de l’universel [....] Je souhaite donc que nos institutions muséales intensifient leurs échanges avec leurs homologues d’Afrique. Qu’ils partagent leurs chefs-d’œuvre, qu’ils les prêtent, qu’ils les déposent, qu’ils les fassent circuler car aucun artiste n’a jamais voulu que ses créations soient le monopole d’un temps et d’un espace uniques.

Les messagers de l'universel ne parlent et n'agissent qu'à travers le prisme de leur propre culture. Accepteront-ils de présenter les patrimoines des autres selon le regard des autres ? Laisseront-ils des muséologues ivoiriens ou gabonais gérer et présenter à leur manière les collections béninoises ou gabonaises du Musée du Quai Branly ? Risqueront-ils des "chefs d’œuvre" de leurs propres cultures en les envoyant sous d'autres latitudes, à des collègues formés différemment ? Ou bien reproduirons-nous l'exemple d'Abu Dhabi en Afrique ?

 

L’Institut national du patrimoine (INP) et l’École du Louvre vont mettre en œuvre un programme de formation à destination des partenaires africains qui souhaiteront y prendre part.

Ces deux institutions nationales françaises sont-elles qualifiées pour former des professionnels africains du patrimoine ? Ou bien se contenteront-elles de faire ce qu'elles savent faire, c'est à dire former des conservateurs européens du patrimoine - artistique ou ethnographique - entreposé dans des musées européens et considéré ipso facto comme européen ? D'ailleurs, faut-il parler globalement de conservateurs africains, supposés appliquer les normes et les pratiques des musées européens, supposées sans doute universelles ? Ne devrait-on pas parler de professionnels du patrimoine et des musées sénégalais, béninois, camerounais, chaque pays ayant le droit de créer et de développer ses propres institutions, parlant le langage de sa propre culture, en fonction d'objectifs nationaux ou même locaux, pour son propre patrimoine ?

 

Antiquaires, commissaires-priseurs, experts, collectionneurs, tous participent à la connaissance et à la conservation des patrimoines. Ils ont fait de Paris la capitale mondiale de ce secteur du marché de l’art.

Le marché de l'art sert surtout à l'importation et à la circulation d'éléments de patrimoine, considérés pour leur valeur artistique et commerciale, au détriment des pays d'où ils sont extraits par divers moyens, parfois légaux, souvent illégaux. Il ne s'agit par conséquent ni d'une connaissance de la signification culturelle de ces objets, ni de leur conservation au sein des sociétés qui leur ont donné naissance.

 

Merci à l’Unesco d’être présente, elle qui agit sans relâche pour la préservation de la richesse des patrimoines.

Cette phrase, prononcée au début du discours,  est intéressante, car bien d'autres phrases par la suite se réfèrent, explicitement ou implicitement, au caractère universel du patrimoine, un concept promu par l'Unesco, notamment à travers ses diverses listes d'un patrimoine dit "mondial". Mais le patrimoine n'est-il pas d'abord celui de ceux qui ont ont été les créateurs, puis les héritiers légitimes ? Et ne sont-ils pas les meilleurs juges de ce qui est leur patrimoine, avant que des experts discutent de ce qu'il a d'universel (à leurs yeux d'experts) ?

 

 

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