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25 février 2024 7 25 /02 /février /2024 15:41

J'avais préparé une intervention en vidéo lors la conférence du MINOM (Mouvement International de la Nouvelle Muséologie) qui vient de se tenir à Catane, en Sicile (22-23 février 2024). Un incident technique m'a empêché de la présenter. Mais comme j'avais pas mal réfléchi à cette occasion sur quelques aspects de l'évolution de la nouvelle muséologie depuis cinquante ans, je me suis dit que cela valait la peine, au moins pour moi tout seul, de rédiger ce que j'avais prévu de dire.


 

Les débuts et l'évolution de la nouvelle muséologie, depuis les années 1960

Je dois tout d'abord rendre un hommage personnel à tous les inventeurs de la nouvelle muséologie, dont j'ai eu la chance de de connaître un grand nombre et qui m'ont appris ce que c'était de concevoir et de mettre en œuvre des projets novateurs qui allaient à l'encontre des normes établies, tant en matière de patrimoine que de musées. Pour ne mentionner que celles et ceux qui sont morts, je citerai par ordre alphabétique Marie-Odile de Bary (France), Fernanda Camargo Moro (Brésil), Marcel Evrard (France), Jan Gjestrum (Norvège), John Kinard (Etats-Unis), Marc Maure (France / Norvège), Pierre Mayrand (Québec), Odalice Priosti (Brésil), Pablo Toucet (France / Niger), Georges Henri Rivière (France), Mario Vazquez (Mexique)...

*

Il faut ensuite parler des dates qui ont marqué l'émergence de ce mouvement collectif et imprévu venu de plusieurs pays et porté par des individualités fortes, qui n'étaient pas toutes, du moins au début, des professionnels des musées. Après les premières initiatives isolées dans les années 60 (les musées nationaux du Mexique en 1964, les musées de voisinage aux États-Unis au moment de la lutte pour les droits civiques, le Musée national de Niamey au Niger lors de la décolonisation), c'est en 1971 et 1972 que trois évènements indépendants se produisent: la VII° Conférence Générale de l'ICOM en France et l'invention du mot écomusée en 1971, la Table ronde de Santiago du Chili en 1972, l'invention d'une nouvelle forme de musée communautaire au Creusot en 1971-1972 qui deviendra l'Écomusée de la Communauté urbaine du Creusot-Montceau en 1974.

Une dizaine d'années plus tard, on verra apparaître les premiers écomusées au Québec et la création du MINOM (1980-1985). En 1992, au moment du Sommet de la Terre, la première rencontre internationale des Écomusées, à Rio de Janeiro, accompagne les premiers écomusées brésiliens. Dans cette même décennie des années 90, l'Italie voit naître un grand nombre d'écomusées, dotés de lois régionales qui leur donnent un statut et une légitimité. Enfin, en 2000, se forme le réseau des musées communautaires d'Amérique Latine.

Il faudrait ajouter d'autres dates qui marquent l'expansion des écomusées et en général de différentes formes de nouvelle muséologie dans de nombreux pays, en particulier au Japon, en Norvège, en France, en Scandinavie, en Espagne, en Chine, etc.

*

Lors de la XVI° Conférence générale de l'ICOM, à Québec en 1992, j'ai présenté une synthèse des débats des différents organes de la Conférence dont le thème était: "Où en sommes-nous ? Quelles devraient être les prochaines étapes ?". J'y notais déjà les évolutions de plus en plus divergentes des deux principales formes de musées:

"L'incompréhension ne peut être que totale entre un musée national, représentant la culture officielle d'un pays, éventuellement affirmant et illustrant son «identité» de nation, et un musée communautaire, reposant sur la mobilisation des différentes composantes de la population d'un territoire, et sur des arbitrages difficiles entre les objectifs et les intérêts sectoriels de ses membres.

Là l'inversion des définitions est totale: les buts poursuivis ne sont pas les mêmes et l'on se demande comment ils peuvent cohabiter dans des structures administratives et dans des procédures réglementaires conçues pour les premiers, lorsque les seconds n'existaient pas encore."i

Je ne parlais pas alors de "nouvelle muséologie" mais, plus de trente ans après mon rapport de Québec, je peux maintenant essayer de préciser les principales directions qui ont été prises par les différents initiateurs de ce mouvement et qui restent encore plus ou moins actuelles. Elles sont à mon avis au nombre de quatre, qui se recoupent plus ou moins, selon le contexte local et les intentions de chaque porteur de projet:

- l'ouverture sur l’environnement, la nature, le paysage

C'est le concept d’origine de l'écomusée, en 1971, qui devait accompagner le premier Sommet des Nations Unies sur l'environnement, à Stockholm en 1972. Il s'appliqua aux écomusées des parcs naturels régionaux français dans les années 70, à l'écomusée d'Itaipu, premier de ce type au Brésil en 1987, à des écomusées liés à des programmes "Agenda 21" après le sommet de Rio en 1992, notamment en Italie.

- la modernisation critique de la muséologie et de la muséographie

Elle s'applique le plus souvent à des musées petits ou moyens existants, pluridisciplinaires, par l'introduction des nouvelles technologies de la communication, de la présentation, de la numérisation et en général une refonte des musées de territoire ou de "société" qui s'ouvrent à la population environnante et à un tourisme de proximité.

- une gestion démocratique du patrimoine vivant

C'est le type de projet que l'on appelle habituellement écomusée ou musée communautaire: la population y est associée à l'initiative, aux décisions, à travers des méthodes diverses de mobilisation, de participation, d'éducation patrimoniale, d'inventaire de proximité, de capacitation.

- une muséologie militante ou politique

Elle s'applique à des milieux minoritaires, opprimés (autochtones, groupes ethniques, catégories défavorisées...) qui revendiquent des droits matériels et/ou moraux et s'appuient sur la mémoire collective et sur des patrimoines souvent immatériels. Elle est généralement associative ou même informelle, en tout cas peu institutionnalisée et apporte des arguments et des outils à des luttes sociales.

Chaque tendance a suivi et suit encore des chemins qui lui sont propres, même si l'on trouve des recouvrements dus aux contextes et à l'évolution de chaque projet local. Dans la plupart des cas, la collection n'est pas centrale, même si elle représente un matériau utile, et même indispensable, pour la connaissance, l'exposition, la recherche, la pédagogie.


L'invention de nouveaux modes de gestion du patrimoine vivant

Il me semble que les principes de la muséologie traditionnelle, axés sur la conservation de collections, par des professionnels qualifiés, selon des méthodes scientifiques, au profit de publics, selon des règles éthiques et des législations ou des définitions nationales et internationales, ne sont pas adaptés aux pratiques nouvelles qui ont été progressivement inventées par les personnes et les groupes qui s'inscrivent dans la nouvelle muséologie. Ces pratiques, que j'ai qualifiées d'"hérétiques" dans un texte rédigé avec l'aide d'Odalice Priosti en 2005ii, peuvent être caractérisées par trois objectifs qui se combinent pour formuler une gestion radicalement différente du patrimoine, celui-ci étant bien entendu globalisé au niveau du territoire, indifféremment matériel ou immatériel, naturel ou culturel:

- le patrimoine est géré, consciemment et volontairement par ses héritiers eux-mêmes, qui en sont à la fois les propriétaires et les usagers, qui fondent leur légitimité;

- le patrimoine est géré, non pas en fonction de sa qualité liée au passé, mais essentiellement en fonction de sa valeur pour le temps présent et de la volonté de le transmettre pour les générations futures;

- le patrimoine n'est pas géré, juridiquement et scientifiquement, comme un trésor à conserver intact et inaliénable, il est à la fois reconnu, préservé et transformé en tant que ressource naturelle, culturelle, sociale et économique pour l'équilibre et le développement du territoire et de la communauté.


Un nouveau paysage muséal et de nouvelles relations entre musées et gens de musées

Il y a cinquante ans, il y avait, dans le monde des musées, essentiellement l'ICOM, ONG internationale professionnelle, des associations nationales de musées ou de professionnels de musées et des associations nationales et locales d'amis des musées. Dans le domaine du Patrimoine, il y avait l'ICOMOS, ONG sœur de l'ICOM, et des associations nationales et locales "de sauvegarde".

A partir des années 1980, on assiste à une nouvelle configuration du monde des musées et du patrimoine et à une multiplication des initiatives de regroupement des nouveaux musées et des nouveaux professionnels ou militants du patrimoine.

- des associations ou groupements nationaux se créent: Muséologie Nouvelle et Expérimentation sociale (MNES, France) puis Fédération des Ecomusées et Musées de Société (FEMS, France), Association des écomusées du Québec (Canada), Japan Ecomuseological Society (JECOMS, Japon), Mondi Locali (Italie), Associação Brasileira de Ecomuseus e Museus Comunitários (ABREMC, Brésil), Unión Nacional de Museos Comunitarios y Ecomuseos de México (Mexique), MINOM Portugal, etc.

- parallèlement à la multiplication des formations universitaires de professionnels de musées et de muséologie, l'Universidade Lusófona (ULHT, Portugal) développe un enseignement spécifique à la Muséologie sociale (master et doctorat), une revue et des publications, tandis que dans de nombreux pays des mémoires, des thèses, des publications académiques et des articles sont publiés sur des sujets relevant de la nouvelle muséologie, de la muséologie sociale, de la socio-muséologie. Des séminaires nationaux sont aussi organisés à l'initiative des associations d'écomuséologie, de socio-muséologie, de muséologie communautaire, etc., afin de capitaliser l'expérience des projets et réalisations venant du terrain.

- des initiatives transnationales naissent, surtout depuis les années 2000, pour faire se rencontrer des expérimentateurs et échanger des idées, des pratiques, des méthodes: les cinq Rencontres internationales (EIEMC) organisées au Brésil entre 1992 et 2015, la Red de Museos comunitarios de America, le Forum des écomusées et musées communautaires de Milan en 2016, la plateforme en ligne DROPS qui lui a succédé, les échanges Italie-Brésil “Distanti ma uniti / Distantes mas unidos” pilotés depuis 2020 par Raul Dal Santo et Nádia Almeida, le programme européen Ecoheritage, etc.

- devant la dynamique de cette muséologie alternative, nouvelle, innovante, le système international lui-même devait changer. La création du MINOM (1984) qui obtient le statut d'association affiliée à l'ICOM et la succession de ses ateliers provoquent une ouverture du comité international pour la muséologie de ce même ICOM, l'ICOFOM, qui donne de plus en plus de place aux pratiques et aux expériences de la nouvelle muséologie. Enfin, la création officielle du Comité international de l'ICOM pour la socio-muséologie (SOMUS, 2023) marque la reconnaissance d'une discipline académique propre.

La célébration de la nouvelle dynamique internationale du MINOM à Catane les 21 et 22 février 2024 et celle de la muséologie sociale à Rio de Janeiro du 20 au 23 mars de la même année symbolisent bien ce rééquilibrage entre le monde des praticiens d'une part et celui des théoriciens et des chercheurs d'autre part.

 

Une évolution des modes et des techniques de communication

Depuis mes années à l'ICOM et mes voyages dans le monde entier, tant de choses ont changé dans les rapports entre musées et gens de musées ! J'ai été témoin des réunions où venaient surtout les représentants des grands musées, surtout d'art et surtout européens ou américains du Nord, qui avaient les moyens de voyager. Je me souviens de notre remarquable Centre de documentation UNESCO-ICOM dont le fichier des musées était tenu à la main sur des fiches cartonnées. Il y avait ces réunions internationales organisées par correspondance (air-mail...) ou par télégrammes. Et il fallait des visas et des traveller-checks pour voyager, même dans des pays très voisins.

Maintenant, voyages et télécommunications sont faciles entre pays et entre musées et le nombre de membres de l'ICOM, de comités nationaux et internationaux a considérablement grandi. Les conférences générales rassemblent des milliers de participants.

Internet a transformé la circulation de l'information. Les relations informelles entre les personnes: les emails, les sites web locaux et nationaux, les plateformes internationales, le pluri-linguisme et la traduction en ligne ont rendu les échanges et les contacts faciles et même souvent quasiment immédiats.

Des réseaux locaux, régionaux, nationaux, internationaux se sont créés, avec leurs outils de communication, même parfois en dehors des structures officielles. Et les "réseaux sociaux" offrent des capacités de regroupements, de circulation d'images, de diffusion rapide de nouvelles et d'idées qui n'existaient pas il y a seulement trente ans.

Grâce aux contraintes de la pandémie, à la généralisation de la vidéo-transmission et à des technologies nouvelles, les non-professionnels, les militants de causes sociales, culturelles, politiques, les acteurs locaux les plus modestes ont commencé à communiquer, à se faire connaître à confronter en temps réel leurs expériences et leurs propositions

Cette évolution, certes, comporte des risques de confusion, de superficialité, de rapidité excessive, mais j'ai l'impression que la "nouvelle" muséologie a acquis en cinquante ans une légitimité , une capacité créative et une complexité qui l'éloignent des traditions et des pratiques de la muséologie traditionnelle. Elle n'est plus dans la marge du monde muséal, dans des cas exceptionnels qui justifiaient le terme d'"hérétiques". C'est probablement une autre muséologie.

 

Quelques conclusions personnelles

A côté de la vie relativement stable et très réglée des musées traditionnels qui vivent et évoluent selon des pratiques professionnelles reconnues et enseignées, j'observe depuis une cinquantaine d'années la multiplication de nouveaux types et de nouvelles familles de musées qui veulent se distinguer par leurs objectifs, leurs méthodes, leurs spécificités: écomusées, musées communautaires, musées autochtones, musées militants, non-musées, contre-musées, musées alternatifs ou alter-musées. On pourrait dire que ce sont des "musées de missions".

Je constate aussi la multiplication des échanges entre les acteurs du patrimoine et de ces musées et leur implication croissante dans la vie sociale de leur communauté et de leur territoire : professionnels, volontaires, chercheurs, militants, partenaires locaux ou extérieurs collaborent à un projet ou à des projets situés dans le temps et dans l’espace, qui répondent à des objectifs d'intérêt collectif ou général.

Mais, alors que l'ICOM vient de modifier à nouveau la définition du musée qui va progressivement s'imposer à l'ensemble des institutions muséales et aux professionnels qui en ont la charge, je ne peux que constater l'absence, naturelle et normale, de modèle, de label, de définition académique pour tous ces musées différents, même s'ils ne sont plus vraiment "nouveaux". Chacun en effet est inventé, en fonction de ses objectifs explicites ou implicites et de ceux de ses fondateurs, de la communauté qui le porte, du contexte local. Beaucoup en outre ne portent pas le nom de musée et certains évitent même de se référer aux normes muséales habituelles pour ne pas être contraints à des règles qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas suivre.

 

Pour terminer et en pensant à l'avenir, je me bornerai à oser deux questions, auxquelles je me garderai bien de répondre:

- ces musées sont-ils pérennes, ou accompagnent-ils un besoin, une envie, un moment ou une nécessité ?

- ces musées sont-ils encore des musées ?

 

i Actes de la XVI° Conférence générale, ICOM, p.68

ii de Varine, Hugues, Le musée communautaire est-il hérétique ?, texte inédit consultable en ligne sur Le https://www.hugues-devarine.eue communautaire est-il hérétique ?

 

 

 

 

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13 janvier 2023 5 13 /01 /janvier /2023 16:56

Je n'ai aucune compétence en matière de politique de retraite, ou de démographie, ou d'action sociale, mais j'ai un peu travaillé, autrefois, sur l'emploi, le chômage, la création d'activité économique et l'économie sociale. Et j'ai aussi ma propre expérience personnelle d'une vie professionnelle à multiples rebondissements, de 22 à 78 ans.

J'entends actuellement tout ce qui se dit sur le projet gouvernemental de réforme du système français de retraite: il est tellement complexe et technique qu'il n'est pas question pour moi de porter un jugement, pour ou contre. Si ce projet est finalement adopté et mis en application, on verra bien s'il fonctionne ou non (d'ici 2030 ou au delà). S'il n'est pas adopté, on peut être certain qu'un autre sera bientôt proposé.

Mais il y a un aspect que je n'ai pas vu mentionner, ni de la part des partisans ni de celle des opposants, ni même dans les commentaires de journalistes ou d'experts convoqués par les médias pour donner leur avis.

Les travailleurs concernés, inquiets de la réforme annoncée, surtout évidemment les moins qualifiés qui appartiennent aux classes moyennes ou aux milieux défavorisés, semblent considérer ainsi que leurs syndicats que leur vie professionnelle est et sera linéaire, c'est à dire qu'ils resteront toujours, sinon dans la même entreprise, du moins dans le même métier et dans la même zone géographique (si possible dans le même bassin d'emploi). Ainsi un apprenti-couvreur devrait rester couvreur jusqu'à sa retraite, artisan ou salarié, avec une "pénibilité" de plus en plus ressentie avec l'âge et donc le souhait de prendre sa retraite aussi tôt que possible. Le même raisonnement s'applique à un enseignant, à un pompier, à un soignant, les facteurs de pénibilité étant chaque fois différents, mais tout aussi compréhensible: le travail est fatigant, et de plus en plus quand on prend de l'âge. Les principales raisons de cette continuité dans l'activité professionnelle sont évidentes: la compétence acquise et reconnue, la stabilité familiale souhaitée, les contraintes liées à un logement acquis ou rêvé, souvent source d'endettement à long terme, différents liens sociaux ou affectifs hérités ou créés au cours de la vie, des salaires en progression à l'intérieur d'une entreprise que l'on connaît,  etc.

Mais faut-il rester toujours dans le même métier, dans la même zone géographique, même ou surtout quand on est peu qualifié ? Il y a quelques années, un travailleur aux États-Unis travaillait en moyenne, au cours de sa vie, dans 12 États différents et changeait chaque fois d'employeur et souvent de métier, en fonction de la demande. En France, il y a trente ou quarante ans, une expérience avait été tentée, avec succès, à Roanne, pour faire passer des travailleurs licenciés du secteur de la mécanique textile à d'autres métiers de la mécanique, avec un minimum de formation-adaptation. Je vois dans la presse, ces jours-ci, en France et aussi en Allemagne et au Danemark, de nombreux exemples de retraités obligés à continuer à travailler pour améliorer leur niveau de vie ou assumer leurs charges familiales, qui prennent de nouveaux emplois, très différents de leurs qualifications antérieures, et qui semblent en être satisfaits. Quant aux jeunes, entre 18 et 25 ou 30 ans, ils sont de plus en plus mobiles, sautant d'un boulot à un autre, et d'un temps d'emploi à un temps d'inactivité ou de chômage, sans trop se préoccuper de fidélité à un employeur. Et bien entendu les cadres supérieurs et détenteurs de hautes qualifications sont très flexibles professionnellement, et en ont les moyens.

Certes, les choses ne sont pas si simples et les problèmes très concrets de mobilité, d'habitat, d'emploi du conjoint et d'éducation des enfants, de niveau de rémunération, peuvent paraître insurmontables dans la continuité du XX° siècle et dans les discours défensifs ou corporatistes des syndicats. Mais il me semble qu'il serait temps, plus que de réformer le système des retraites, de laisser le temps à la société (française, ou européenne) d'évoluer dans ses pratiques d'emploi et de travail, non pas en fonction de la seule retraite vue comme un objectif à atteindre dès que possible, mais pour une vie professionnelle plus équilibrée, en fonction des compétences acquises et de l'expérience, de choix discutés et décidés dans un cadre familial, de l’évolution de ses propres forces physiques et mentales, et bien sûr d'un marché du travail où nous voyons de plus en plus les employeurs en position de demande et les salariés en position d'offre.

Une telle évolution porterait d'abord sur les mentalités, les attentes et les comportements des travailleurs eux-mêmes, puis influerait sur les pratiques des employeurs, sur les programmes de formation/adaptation continue, sur les politiques locales d'attractivité, de logement, de transports publics, et enfin sur une nouvelle réforme des retraites qui tiendrait compte de ces changements avant de faire de savants calculs budgétaires. Il faudra sans doute au moins une génération, plus probablement deux ou trois, pour que l'on arrive naturellement à une culture de la vie au travail et finalement à une conception de la retraite qui résulteront non pas de lois ou de négociations hors-sol, mais d'une adaptation collective et différenciée, difficile sans doute mais provenant de la pratique individuelle et du contexte social, économique et culturel.

 

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17 décembre 2022 6 17 /12 /décembre /2022 11:24

Jusqu'à ces dernières années, la coopération internationale dans le domaine du patrimoine se faisait surtout dans le cadre multilatéral de grandes organisations, UNESCO, ICOM, ICOMOS et leurs structures spécialisées, ou bien entre grandes institutions à titre bilatéral, par exemple pour la préparation d'expositions ou la mise en œuvre de programmes de recherche. Tout cela prenait du temps, suivait des protocoles bien établis et nécessitait des financements plus ou moins importants, en général publics.

Depuis quelques années, l'arrivée de nouvelles technologies de communication et leur maîtrise par des organismes ou des groupes locaux, accélérée par la pandémie et divers épisodes de confinement, ont entraîné des changements spectaculaires dans les relations entre professionnels de la culture, du patrimoine, de l'environnement, et aussi entre ces professionnels et les acteurs locaux, souvent volontaires et militants, qui se sont affranchis des contraintes administratives et même financières pour inventer de nouvelles formes de collaboration et de coopération.

Personnellement, même si je suis plus actif dans le domaine du développement local, du patrimoine et de l'action communautaire, j'ai pu constater, à plusieurs reprises, parfois en y participant à la marge, la richesse de ces initiatives qui, je crois, ouvrent des perspectives et des chemins porteurs d'avenir, même lorsqu'ils sont loin des schémas classiques, tels que j'ai pu les vivre dans mes vies antérieures.

Je vais prendre quelques exemples, peut-être imparfaitement connus et diffusés, mais qui méritent d'entrer dès maintenant dans le panorama de la coopération internationale.

 

La plateforme Drops

Cette plateforme a été créée en 2017 à la suite du Forum International des écomusées et musées communautaires qui s’est tenu à Milan en 2016. Elle est gérée par une équipe du réseau des écomusées italiens, autour de Raul Dal Santo. Elle recueille et diffuse des informations, des projets et des idées, en italien, anglais, espagnol et français. Sur une base entièrement volontaire, elle accroît sans cesse son audience et son rayonnement.

https://sites.google.com/view/drops-platform/home

 

Le programme Distanti ma uniti. Ecomusei e musei comunitari di Italia e Brasile

Ce programme est l'aboutissement d'un long processus de rencontres et d'échanges entre des membres du réseau des écomusées italiens et des membres de l'Association Brésilienne des écomusées et musées communautaires (ABREMC). La pratique des visioconférences introduite par la pandémie, faisant suite à des rencontres physiques depuis 2011, a rendu possible d'abord l'établissement d'un programme de travail de cinq ans, à partir de 2020, donc en pleine pandémie, puis la mise en œuvre des différents thèmes de ce programme. La troisième rencontre a eu lieu en octobre 2022.

https://www.youtube.com/watch?v=rcYLO6l5Efs

 

Le programme de colloques virtuels "Tower of Babel - museum people in dialogue"

Il a été de résultat de la rencontre et de la collaboration de deux activistes de la nouvelle muséologie, Manuelina Duarte des Universités de Goias (Brésil) et de Liège (Belgique) et Giusy Pappalardo de l'Université de Catane (Italie), co-fondatrice de l'écomusée de la vallée du Simeto en Sicile. De février à juin 2021, elles ont organisé une dizaine de colloques en visioconférences, ouverts à des acteurs de terrain et à des chercheurs de plusieurs pays européens et latino-américains. Les contributions viennent d'être publiées.

https://icofom.mini.icom.museum/new-publication-babel-tower-museum-people-in-dialogue/

 

La Red de Museos Comunitarios de América

C'est une initiative beaucoup plus ancienne, remarquable par sa durée et ses méthodes de travail, à partir d'un programme gouvernemental mexicain de musées communautaires, qui s'est étendu de façon militante, dès les années 2000,  à de nombreux pays - Bolivie, Venezuela, Panamá, Costa Rica, Nicaragua, El Salvador, Guatemala - et plus récemment au Brésil, à la Colombie, au Chili et au Pérou. Réunions, publications, formations, manifestations locales, nationales et internationales ont révélé le potentiel social, culturel et aussi politique du concept et de la pratique du musée communautaire, dans le contexte latino-américain..

https://www.museoscomunitarios.org/redamerica

 

Le cinquantenaire de la Table Ronde de Santiago du Chili (1972)

Ce cinquantenaire est un cas particulier, dans la mesure où il a suscité un grand nombre d'initiatives, certaines nationales et publiques (comme au Chili), d'autres professionnelles, d'autres enfin locales. Il serait trop long d'en faire l'inventaire et je n'en ai pas les moyens. Mais c'est un très bon exemple d'un mouvement spontané qui a entraîné la mise à jour d'un concept original mais daté, en vue de son élargissement à de nouveaux territoires et à de nouvelles pratiques. Je ne cite ici qu'un seul cas, celui d'un colloque organisé conjointement par le Musée de l'Education Gabriela Mistral à Santiago (Chili) et le Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris.

https://www.museodelaeducacion.gob.cl/publicaciones/actas-del-coloquio-internacional-de-museologia-social-participativa-y-critica

 

 

 

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22 novembre 2022 2 22 /11 /novembre /2022 10:18

Je ne suis pas professionnel de musée, mais il faut bien parler plus spécifiquement de l'évolution de l'institution-musée depuis Santiago. Dès la Conférence générale de l'ICOM en 1971, il avait été clair que le musée devait s'adapter aux changements du monde contemporain. Les interventions de Mario Vazquez et de Stanislas Adotevi à Grenoble, et même les discours de Jacques Duhamel et de Robert Poujade avaient entraîné la décision de revoir la définition du musée et d'y inclure la mission de développement.  Ce fut chose faite en 1974, à Copenhague. La Conférence de Kyoto (2019), puis celle de Prague (2022), ont été plus loin et repris l'esprit de Santiago en lui ajoutant un vocabulaire moderne étendu à des concepts et à des préoccupations qui correspondent au monde des années 2020. Tout cela est bien, mais reste du niveau de la théorie et des principes de l'institution-musée.

(Je me permets de noter que j'ai écrit un petit livre sur mes années à l'ICOM (1962-1974), que l'on peut trouver sur mon site web: http://www.hugues-devarine.eu/book/documents/book. On peut trouver également des informations sur cette période dans mon livre "L’Écomusée singulier et pluriel", Paris, L'Harmattan, 2017, qui a été édité en espagnol et en italien.)

De mon point de vue, qui est celui du territoire et du développement local, je préfère regarder en quoi le musée a effectivement changé, du point de vue du développement local, c'est à dire de la gestion du patrimoine sur les territoires.

 

Qu'est-ce qui a changé dans les fonctions traditionnelles de l'institution ?

 

La collection reste au cœur du musée, du moins dans sa forme officielle et réglementée, mais elle est doublement contestée:

- par la demande de restitution provenant des personnes et des pays victimes soit de confiscations d'objets et d’œuvres d'art (par exemple pendant la seconde guerre mondiale), soit de vols au titre de butin de guerre lors des conquêtes coloniales, soit encore de détournements illégaux lors de fouilles clandestines, de guerres civiles ou simplement de trafics internationaux;

- et aussi par un nombre toujours croissant de structures ou d'institutions, appelées musées ou non, qui ne

considèrent pas la collection comme l'essentiel de leur action, mais un élément parmi d'autres. Un colloque récent au Portugal (Fundão, 2022) a souligné l'importance des non-musées, qui s'affranchissent de certaines normes muséologiques mais exercent des missions importantes qui sont actuellement celles des musées.

Si les fonctions de conservation, d'accueil du public, d'éducation, n'ont guère changé, il faut noter l'entrée du numérique dans le monde des musées aussi bien pour le traitement des collections que pour l'exposition et en général le rayonnement du musée en dehors de ses murs. Cela a atteint une importance considérable pendant la pandémie du Covid 19 et les différentes périodes de confinement, où les musées ont surtout communiqué virtuellement avec leurs publics. De plus, de nouvelles approches s'appliquent à la communication avec le public, comme la "médiation" qui implique la prise en compte de l'intelligence, des connaissances et de la culture vivante de ce public dans l'interprétation des expositions, permanentes ou temporaires.

Les nouveaux musées qui se sont créés ou transformés pendant cette période ont aussi modifié leurs méthodes de travail, en recherchant de nouveaux publics, en sortant de leurs murs pour faire circuler leurs collections, en faisant entrer au musée de nouvelles formes d'action artistique (art contemporain vivant; musique, danse, etc.).

Tout cela peut être considéré comme une évolution allant dans le sens souhaité à Santiago, sans pour autant remettre en cause la formule du musée traditionnel, qui reste l'esclave de sa collection et des champs scientifiques auxquels elle appartient, et qui est obsédé par son public essentiellement érudit, captif et touristique. On peut se demander pourquoi tous les efforts faits par les responsables de ces musées, leurs services communicants et éducatifs et les porteurs d'activités diverses (numériques, musicales, artistiques...) n'ont pratiquement jamais véritablement réussi à  élargir leurs publics à l'ensemble de la population du territoire, avant de prendre en compte les visiteurs extérieurs. 

En fin de compte, et quitte à choquer certains, mon expérience me pousse à appeler ces institutions, qui peuvent aller du Musée du Louvre au dernier musée ethnographique local, des musées collectionneurs, car, dans la décision finale, c'est toujours l’intérêt de la collection qui prime.

 

Tout un monde de nouveaux musées, porteurs de nouveaux schémas

 

A côté des musées traditionnels, changés ou non, nous constatons depuis trente ou quarante ans l'émergence de nouveaux musées et de nouvelles manières de préserver et de gérer le patrimoine et la mémoire, et aussi de présenter les grandes questions qui intéressent notre monde actuel. Sans vouloir proposer une typologie, je choisirai de citer deux tendances :

- des musées qui sont créés par  des communautés ou des groupes, en vue de défendre des intérêts et des causes spécifiques. Ils ne sont pas nécessairement appuyés principalement sur le patrimoine ou la mémoire, mais leur font souvent appel pour soutenir des argumentaires et enrichir discours et présentations. Ces musées concernent par exemple les luttes des femmes ou des LGBT, l'identité ou les revendication de communautés autochtones, des problèmes sociaux ou du travail, etc. Je propose de les appeler des musées activistes. Ces musées militent pour des causes, ils sont des outils politiques, éducatifs ou sociaux.

- des musées qui combinent les trois composantes du territoire, de la communauté et du patrimoine, sans nécessairement respecter les normes muséologiques et dont les responsables sont généralement des volontaires (bénévoles), plus ou moins encadrés ou accompagnés par des professionnels et des experts "engagés" à leurs côtés. On peut les appeler musées communautaires, même si la dimension collective prend des fomes variables, selon les lieux et les circonstances. On y trouve les écomusées, ou du moins ceux qui défendent les caractéristiques liées à ce mouvement,  et de nombreuses structures qui ne portent pas ce nom, que le colloque de Fundão a proposé d’appeler non-musées.

A noter que les museos comunitarios d'Amérique Latine appartiennent aux "musées activistes", au côté des musées autochtones, car ils ont une démarche clairement politique, même si  ce sont aussi des musées de territoire, représentatifs de leur population et fortement impliqués dans la gestion communautaire du patrimoine local.

La pandémie que nous vivons a bien mis en valeur la spécificité de ces nouveaux musées: alors que les musées traditionnels, professionnels, dépendant des lois nationales et des moyens mis à leur disposition par les budgets publics ou privés, ont fermé leurs portes pendant les périodes de confinement, pour tenter seulement de maintenir une fiction d'activité par le numérique, de très nombreux musées activistes ou communautaires sont restés actifs, et parfois même inventifs et innovants, parce que leurs murs et leurs collections n'étaient pas au cœur de leurs préoccupations, et parce que leurs acteurs effectifs faisaient effectivement partie de leurs communautés respectives.

 

Une question de responsabilité

 

La Table ronde de Santiago ne s'adressait pas à des musées, mais à des directeurs de musées publics et les intervenants, experts latino-américains dans les principaux secteurs du développement régional, leur parlaient comme à des collègues, qui étaient comme eux acteurs de la vie publique des États, des villes et des territoires où ils servaient et qu'ils servaient. Et il était clair pour tous que l'on était conscient d'une responsabilité. Mais de quelle responsabilité ? Je crois que la déclaration finale a décidé: c'était une responsabilité intégrale, du musée et de ses responsables vis-à-vis de la société, c'est-à-dire de la communauté humaine à laquelle ils appartenaient.

Il ne s'agissait pas en effet seulement de la responsabilité institutionnelle "réglementaire" sur les collections, sur la qualité des activités culturelles et scientifiques, sur l'accueil et l'éducation ou la satisfaction des visiteurs, il s'agissait bien de la responsabilité d'agir, avec tous les moyens de l'outil-musée pour répondre aux besoins de la communauté, aux côtés et en collaboration avec les autres outils disponibles, techniques, culturels, éducatifs, sociaux, sanitaires, économiques, administratifs. C’est à dire passer du service du musée au service de la société.

La récente nouvelle définition internationale du musée approuvée par l'ICOM va dans ce sens et peut ainsi être considérée, de l’extérieur, comme s'inscrivant dans la continuité de Santiago, et aussi d'autres manifestations collectives à la fois d'un changement de mentalité des professionnels et d'un vrai désir de nouvelles pratiques (Québec, Oaxtepec, Guwahati, Faro, Sienne...). Elle reste cependant encore largement théorique et seuls les musées ou non-musées activistes et communautaires ont massivement contribué à inventer des muséologies que j'appelle "inculturées", en ce qu'elles émanent, ou tentent d'émaner des sociétés, des cultures et des contextes qu'elles veulent à la fois représenter et servir, ou plutôt dont elles se sentent responsables.

 

 

 

 

 

 

 

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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 16:16

Novembre 2022. Je retrouve dans mes brouillons ce petit texte que je n'avais pas envoyé en février dernier. Mais comme le sujet reparaît actuellement, je le publie, à tout hasard.

 

La presse nous raconte, depuis quelque temps, des histoires de conflits locaux, en Serbie ou au Portugal, sur des projets de mines de lithium dans des espaces agricoles ou naturels protégés. Au Portugal, il s'agit de Covas do Barroso, un espace du nord du pays où je suis intervenu sur la création d'un écomusée, mais il y a d'autres sites, comme celui de Argemela à Fundão, que je connais personnellement.

C'est un problème très intéressant, plus que bien des cas apparemment semblables, comme celui de Notre-Dame des Landes en France il y a quelques années. Sur l'extraction de minerais contenant du lithium, on se trouve devant un choix impossible entre deux positions:

- les agriculteurs défendent leur cadre de vie, leur activité professionnelle, leur patrimoine, tandis que les militants de l'environnement et les spécialistes de la soutenabilité du développement veulent sauvegarder l'avenir du paysage, la bio-diversité, et lutter contre toutes les sources de pollution...

- les sociétés minières, beaucoup d'élus locaux, les responsables régionaux et gouvernementaux du développement économique et de la transition énergétique ont un besoin vital de lithium pour assurer à la fois la production de véhicules électriques et d'outils numériques divers, tous indispensables aujourd’hui, et assurer une souveraineté industrielle menacée par un déséquilibre dans la répartition des sources d'approvisionnement.

Que penser ? Que décider ?

Sanctuariser le territoire, c'est garantir la continuité de l'évolution naturelle de la nature et de la vie, transmettre un espace que l'on a reçu et entretenu, en tant que "bien commun" de la communauté et de l'humanité, alors que l'on sait ce que l'activité humaine a causé de dommages irréversibles à la planète.

Utiliser une ressource minérale cachée, actuellement irremplaçable, pour rendre possible le passage de la voiture thermique à la voiture électrique, c'est contribuer à la décarbonation des moyens de transport, ce qui est un objectif majeur de la communauté internationale, qui impactera chacun d'entre nous.

Peut-on prendre une décision d’exploitation irréversible pour un résultat à court terme, alors qu'il sera peut-être un jour découvert un substitut au lithium ?

La détermination d'une petite population, éloignée des centres de décision et de faible poids électoral, peut-elle raisonnablement contrebalancer des intérêts politiques et économiques au niveau national et international ?

La récolte annuelle de quelques dizaines d'hectares agricoles est-elle équivalente à quelques milliers de voitures "propres" chaque année ? Mais avons-nous réellement besoin de ces voitures ? et de voitures aussi remplies d’appareils numériques fonctionnant avec du lithium ?

Un pays comme le Portugal, ou peut-être la Serbie, peut-il laisser passer une telle chance pour son avenir ? Et le territoire du Barroso (comme celui de la Cova da Beira), en perte de population et de jeunesse, peut-il négliger les milliers d'emplois directs et indirects résultant de l’exploitation minière ?

La décision est à prendre maintenant, mais, quelle qu'elle soit, elle aura des conséquences dans le très long terme.

Je n'arrive pas à choisir le parti qui me satisferait. Est-ce une forme de roulette russe ? Heureusement que je n'ai pas à donner mon avis, ni localement, ni nationalement. Mais la démocratie est-elle capable de traiter de ces enjeux ? Et où se situe la participation des citoyens au développement de leur territoorie ?

 

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5 mars 2021 5 05 /03 /mars /2021 15:52

En principe, et surtout en pratique, un écomusée n'est pas un musée normal: la collection n 'est pas son objet principal, l'exposition n'est pas son seul langage et, même lorsqu'il a des professionnels salariés, il est aussi animé par des membres de la communauté. C'est à dire que, lorsque les musées et autres institutions culturelles sont obligés de fermer leurs portes pendant les périodes de confinement plus ou moins strict du temps de pandémie, le territoire de l'écomusée et le patrimoine vivant qui se trouve sur ce territoire ou dans les familles des habitants ne sont pas concernés par le confinement et continuent à exister et à vivre.

Il y a d'innombrables exemples d'écomusées et de musées communautaires, dans de nombreux pays, qui ont inventé des activités et des méthodes qui leur ont permis, non seulement d'utiliser les moyens de la technique (internet ou les réseaux sociaux, etc.), mais aussi de faire des choses nouvelles sur leur territoire, avec ou par leur population.

Un seul exemple que je viens de trouver sur internet: l'Ecomuseo delle Acque de Gemona (Frioul, Italie) a lancé le programme "Amica Mucca" pour l'adoption par des volontaires intéressés d'une vache choisie parmi celles d'une laiterie tournante, la dernière existante sur son territoire. Voir http://www.latteriacampolessi.it/amicamucca.pdf. Un patrimoine vivant est ainsi reconnu et protégé, avec les savoir-faire et les emplois correspondants, C'est un succès qui montre bien que l'écomusée n'est pas fermé...

Ce temps de pandémie, même s'il entraîne des conséquences dramatiques d'ordre humain, social, économique, permet à tous les écomusées, mais aussi à tous les projets patrimoniaux qui s'occupent du patrimoine vivant sur des territoires déterminés, de montrer la voie d'une prise de conscience de la ressource que ce patrimoine peut représenter pour chacun d'entre nous et pour l'ensemble de nos communautés, comme facteur d'éducation, de loisir, de développement personnel et collectif. Et cela selon des modalités et des formes qui ne sont pas virtuelles, qui ne nécessitent aucun "protocole" particulier, puisque tout se passe sur un territoire ouvert avec les paysages et le patrimoine commun, chez les gens eux-mêmes avec leur patrimoine domestique ou mental, entre des professionnels ou des bénévoles militants qui n'ont pas besoin de se rencontrer physiquement.

Les musées traditionnels pourraient en prendre de la graine et laisser reposer leurs collections et leurs expositions pour aller vers leurs territoires et vers les populations qui les entourent.

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8 février 2021 1 08 /02 /février /2021 10:06

Cela fait un an que la pandémie nous donne, où que nous soyons, beaucoup de difficultés, d'angoisses, de deuils. Mais, l'humanité étant résiliente et éminemment adaptable et évolutive, cette crise aura produit des effets positifs, en suscitant nombre d'inventions, notamment dans le domaine tant des institutions que de la vie quotidienne. J'ai déjà ici dit mon émerveillement devant la créativité des acteurs du développement local et en particulier de la gestion du patrimoine vivant. L’utilisation, imprévue mais très rapidement adoptée avec enthousiasme, des technologies de communication par internet, visioconférences, webinaires, Whatsapp et autres, a permis à des professionnels et à des militants, isolés sur leurs territoires et débordés de tâches, de partager leurs expériences concrètes et leurs idées utopiques ou politiques, en fonction de leurs situations réelles, mais aussi en s'ouvrant à des dialogues ou à des débats avec des interlocuteurs éloignés, parlant d'autres langues, dans d'autres contextes.

L'année 2020 a vu ainsi le succès des rencontres virtuelles du programme EU-LAC sur les musées communautaires en Amérique Latine, dans les Caraïbes et en Europe, la mise en œuvre d'un programme pluriannuel d'échanges entre les écomusées italiens et brésiliens, de très nombreux débats et confrontations de pratiques  lancés par des groupes locaux, mais largement diffusés par les réseaux sociaux et sur Youtube et aussi, dans notre domaine, par la plateforme DROPS, touchant ainsi des personnes éloignées, parfois inconnues des réseaux organisés et peu habituées aux réunions internationales.

Curieusement, alors que les organisations professionnelles nationales et internationales se bornaient à des discussions plus ou moins théoriques sur l'évolution et la modernisation de leurs pratiques traditionnelles, les acteurs du terrain s'éloignaient de plus en plus de ces pratiques et cherchaient à trouver ensemble des réponses aux problèmes posés par la vie quotidienne des communautés, des territoires et des patrimoines, sans a priori.

On aurait pu penser que les restrictions qui touchaient les déplacements et les relations sociales mèneraient rapidement à un certain découragement et que le flux des initiatives se tarirait. Il n'en a rien été, bien au contraire. Même si je suis, par mon âge et mon éloignement du terrain, moins touché par l'information, moins actif sur les réseaux sociaux et moins impliqué dans ces initiatives, je suis impressionné par la poursuite de ce mouvement spontané qui va probablement se poursuivre après la fin espérée de la pandémie, car les liens qui se sont créés ne se détendront pas.

C'est ainsi que la rencontre de deux chercheuses, l'une plus orientée vers le patrimoine et l'institution muséale - Manuelina Duarte, Université de Liège (Belgique) et Université fédérale de Goias (Brésil) -, l'autre qui considère le patrimoine à partir d'un point de vue de développement territorial - Giusy Pappalardo, Université de Catane (Sicile, Italie), appuyées par leurs universités respectives, a abouti au lancement d'un vaste programme de réflexion et d'échanges sur le thème général "Gens de musée en dialogue" et sous le titre "La Tour de Babel". Le but de cette série de onze webinaires qui se dérouleront en français, italien et anglais entre le 12 février et le 26 avril "est de creuser les intersections entre paysage et patrimoine, ouvrant la discussion vers divers échanges transnationaux et transdisciplinaires. L'idée du titre est liée à l'opportunité d'explorer différentes langues, domaines et jargons impliqués dans le domaine des musées, leurs relations avec les gens, leurs territoires, le développement local et la muséologie. La grande question derrière ce voyage est de savoir comment les gens s'identifient aux signes tangibles et intangibles de leur passé, afin de planifier un avenir plus juste et inclusif, en période de transition écologique et de changements sociétaux."

Tous les sujets proposés sont passionnants et liés à des problématiques sociales, économiques et politiques. Leur examen en commun devrait aboutir, non pas à des spéculations philosophiques, mais à la révélation de situations nouvelles et à des réalisations concrètes sur le terrain, que l'on peut espérer se développer à partir de coopérations et de collaborations entre des acteurs locaux de différents pays et leurs institutions

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Pour les détails d'organisation, voir  http://web.philo.ulg.ac.be/museologie/agenda/

Contacts:

babeltowerwebinars@gmail.combabeltowerwebinars@gmail.combabeltowerwebinars@gmail.com

Manuelina Duarte: mmduartecandido@uliege.be

Giusy Pappalardo: giusy.pappalardo@unict.it

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30 novembre 2020 1 30 /11 /novembre /2020 12:12

Le réseau des écomusées italiens et l'Association Brésilienne des Écomusées et musées communautaires (ABREMC), avec le soutien de la Plateforme internationale DROPS (https://sites.google.com/view/drops-platform), ont pris l'initiative de tenir, ces trois derniers mois, deux visio-conférences dans le but de formuler et d'adopter un programme commun de coopération entre les écomusées des deux pays. La rédaction d'une charte de principes et de valeurs communes et aussi propres à chaque réseau a donné une base à un plan d'actions décennal d'échanges d'informations et de personnes, de rencontres et de formations à distance, de projets de travail en commun. C'est la première fois, je crois que des responsables de musées de deux pays, en dehors de toute incitation ou de tout soutien de la part d'une institution publique, s'entendent sur une longue durée pour avancer ensemble dans l'expérimentation sociale et culturelle.

Voir: https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSfwX-H2eUkuhgVqJCwIVawioLSKlCJhO-RgWlss2YpDrTUsmA/viewform

Cela a été rendu possible par plusieurs années d'échanges ponctuels qui ont créé des occasions de reconnaissance mutuelle, de communication au delà des différences linguistiques, de sympathies partagées. La visite de plusieurs membres de l'ABREMC à quelques écomusées italiens en 2011, la participation italienne au IV EIEMC de Belém en 2012, la venue d'une délégation brésilienne au Forum des écomusées et musées communautaires à Milan en 2016, un stage Erasmus d'une doctorante brésilienne dans les écomusées piémontais et d'autres participations croisées, tout cela a fait naître le désir d'étendre les relations à un nombre croissant d'écomusées et surtout de responsables de ces écomusées.

L'arrivée de la pandémie COVID 19 en cette année 2020, et la découverte des énormes possibilités offertes par les échanges visuels à distance, à travers Skype, Zoom, Meet, et autres, dont l’apprentissage était possible pour un minimum de connaissance technique, de temps et de coûts, a été le déclencheur d'un mouvement qui vient de se concrétiser par une charte et un programme d'action concertée.

On dépasse maintenant les classiques coopérations entre deux musées ou structures patrimoniales appartenant à des pays si possible parlant la même langue. Car brésiliens et italiens, même s'ils parlent deux langues d'origine latine, doivent quand même faire des efforts pour se comprendre, mais manifestement ils y arrivent, et il font cela dans la diversité des intérêts et des situations locales.

Je crois que ce n'est qu'un début et que d'autres inter-réseaux comme celui-ci vont voir le jour, même sans l'aide d'une pandémie. Une initiative analogue avait été lancée en 2016, entre les réseaux de musées autochtones ou indigènes du Brésil, du Mexique et du Québec; on peut espérer qu'elle reprendra et se développera, notamment avec l'aide des moyens de communication à distance que l'on maîtrise maintenant.  Je note aussi qu'en cette année 2020, un colloque international initié par deux institutions, le Museum National d'Histoire Naturelle de Paris et le Musée de l’Éducation de Santiago, a rassemblé un grand nombre de responsables de musées communautaires ou de militants de la muséologie sociale, dans le souvenir et pour l'actualisation de l'esprit de la Table ronde de Santiago de 1972. Les actes vont en être très vite publiés et il y aura peut-être des suites. Le fait que la pandémie ait empêché de tenir ce colloque "physiquement" avait obligé à le réaliser virtuellement, ce qui a permis à des dizaines de personnes intéressées, qui n'auraient pas pu aller à Santiago, d'y participer.

Il faut suivre tout cela car c'est sans doute là que réside un peu de l'avenir de nos institutions patrimoniales.

 

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27 novembre 2020 5 27 /11 /novembre /2020 11:20

Depuis neuf mois, le monde des musées "communautaires" (écomusées, musées autochtones, musées de territoires, de minorités...) a connu un bouleversement considérable. Individuellement, chacun de ces musées s'est organisé pour servir sa communauté en tenant compte de la situation locale et des ressources offertes par le territoire, la population, le patrimoine, pour répondre aux besoins quotidiens, à l'éducation, aux loisirs, et pour mettre en mouvement, à travers confinements et dé-confinements, les savoirs, les initiatives, les solidarités.  Collectivement, l'utilisation intelligente et systématique des réseaux sociaux et des plateformes de communication a vu se créer des occasions de travail en commun, sans tenir compte du coût des voyages, du temps ou du décalage horaire. Des colloques nationaux ou internationaux, qui se seraient en temps normal tenus entre privilégiés et institutionnels, ont attiré, ont fait s'exprimer et se rencontrer visuellement des centaines de participants. Même les difficultés linguistiques de communication ont trouvé parfois des solutions inattendues.

Pendant ce temps, les musées traditionnels rencontraient eux aussi un bouleversement considérable. Ils connaissaient les mêmes difficultés que toutes les entreprises publiques ou privées soumises au marché et aux décisions de santé publique: fermeture administrative, mise au chômage du personnel, même scientifique, absence de tout ou partie du public et des ressources propres, interruption ou report des activités, maintien des frais de fonctionnement et parfois même baisse des subventions publiques et du mécénat. Certes des efforts ont été faits pour une valorisation numérique des collections et pour la création de nouveaux "produits", mais dans la dépendance de mesures de sécurité sanitaire peu adaptées à leur mode habituel de fonctionnement. Des musées vont même jusqu'à fermer définitivement leurs portes, tandis que d'autres, pour survivre, vendent des objets de leurs collections ou même licenciaient leur personnel de médiation ! Et cela dans le monde entier.

Comment en est-on arrivé à une telle différence de pratiques entre des musées qui collectent, conservent et présentent les trésors du patrimoine naturel et culturel des provinces, des pays et finalement de l'humanité, et des musées modestes, locaux, qui assurent la relation quotidienne des habitants avec leur patrimoine vivant? C'est probablement le résultat d'une longue évolution, dont j'avais perçu les premiers symptômes lors de la Conférence générale de l'ICOM en 1992, à Québec. A l'époque, on distinguait nettement le début d'une rupture entre les grands musées de collections, artistiques et scientifiques, dépendant de plus en plus de leurs publics et de leurs mécènes, et les petits musées enracinés dans des territoires dont ils voulaient servir le développement et les populations. Ce fossé s'est encore élargi et la situation actuelle le rend encore plus visible.

Les premiers, qui sont parfois des monstres institutionnels, dépendent entièrement de politiques publiques et de ressources de type commercial (billetterie, produits dérivés), tandis que les seconds, qui relèvent de la créativité locale, reposent essentiellement sur leur utilité sociale qui est reconnue par la population et par ses représentants-élus locaux (sinon ils n'existeraient plus). Les premiers doivent financer collections, bâtiments et expositions, les seconds utilisent le patrimoine local et en font la promotion, organisent des actions de proximité avec les moyens humains ou matériels disponibles. Les premiers sont perdus quand le tourisme de masse disparaît, les seconds inventent facilement de nouveaux moyens de communiquer entre voisins et peuvent s'endormir quelque temps, pour se réveiller dès que les gens recommencent à bouger.

Les petits musées communautaires des terroirs et des quartiers n'ont pas de leçons à donner aux musées métropolitains: ils ne sont pas de la même échelle et n'ont pas les mêmes responsabilités. Ils n'ont pas non plus de leçons à en recevoir. Mais un dialogue constructif pourrait s'engager, en ces temps de pandémie, pour faire circuler les idées entre ces deux mondes qui s'ignorent, au plan national comme au plan international. Le débat interne qui s'est engagé à l'ICOM sur la définition du musée est complètement dépassé: le musée idéal n'existe pas et les musées ne peuvent pas se couler dans un moule imposé par une organisation internationale ou des législations nationales. Par contre, chaque musée doit, ou devrait, définir ses propres objectifs, ses missions et ses moyens, en fonction des demandes de ses "propriétaires" et des besoins de ses "usagers".

L'exemple italien a montré qu'il était possible de distinguer, y compris législativement, les musées classiques de collections, appartenant aux villes, aux régions ou à l’État, des écomusées d'intérêt territorial, reconnus par les régions ou les provinces , remplissant des missions spécifiques et jouissant de modes de gouvernance également spécifiques. En Amérique Latine, les musées communautaires donnent à la culture et au patrimoine vivants des communautés une mission de conscientisation et de prise de responsabilité publique. Ailleurs ces musées d'un type particulier restent trop souvent marginaux, on pourrait même dire hérétiques, puisqu'ils n'obéissent pas strictement aux règles enseignées par les formations universitaires et par les groupements corporatistes.

En partie grâce à la pandémie, ils vont émerger dans leur spécificité, montrer non seulement leur résilience, mais surtout leur capacité d'inventer sans cesse des formules de gestion patrimoniale au service des territoires et des communautés. Ils ont montré leur capacité de fonctionner collaborativement en réseaux, en utilisant toutes les techniques et toutes les méthodes offertes par le monde moderne qui les entoure. Même s'ils ne sont pas reconnus publiquement, ils se reconnaîtront entre eux et progresseront ensemble.

 

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31 mai 2020 7 31 /05 /mai /2020 16:06

Tout le monde - le gouvernement, les experts, les médias - a l'air d'être certain que les mois et peut-être les années qui viennent vont voir "exploser" le chômage, en France, en Europe et dans beaucoup de pays du monde. C'est à dire que toute une génération active (20-60 ans) et une génération de jeunes arrivant sur le marché du travail vont connaître d'énormes difficultés d'emploi, à tous les niveaux de qualification et de compétence.

Dans le même temps, la démographie va continuer à multiplier le nombre de retraités qui, pour ceux qui sont encore raisonnablement en bonne santé, ou du moins capables d'une activité, ne pourront, pour beaucoup, contribuer à l'avenir du pays que par la consommation de biens et de services. Il leur restera évidemment aussi les services intra-familiaux, qui seront très importants, même si le caractère "fragile" de cette catégorie de population a tendance à les "confiner" plus ou moins strictement selon les moments.

Devant ce constat qui n'a rien d'original, je me pose une question que je voudrais débattre avec d'autres, non pas au plan théorique, mais de façon concrète et appliquée, à partir de nos situations réelles et du lieu même où nous vivons:

 

Que puis-je faire, en tant que vieux encore relativement actif, pour soutenir, accompagner, aider les victimes de cette vague du chômage de masse qui arrive ?

 

Puis-je m'organiser avec d'autres vieux actifs pour mettre en commun nos moyens, intellectuels et matériels, nos compétences et nos réseaux et les rendre collectivement disponibles et utiles pour les chômeurs qui vont vivre à côté de nous, sur nos territoires ?

 

Peut-on commencer à rassembler des exemples de cas récents ou actuels qui pourraient nous inspirer ?

Des ONG françaises existent qui sont sans doute déjà capables de répondre à ces questions: Solidarités nouvelles face au chômage, OLD'UP, OR GRIS, d'autres encore sans doute. Peuvent-elles lancer une campagne de réflexion, de communication et de mobilisation nationales ? Peuvent-elles demander à l'Europe de relayer au plan européen cette idée ? Il ne s'agit pas d'argent, mais de bien commun. Nous devons tous vivre ENSEMBLE, aussi bien que possible, les mois et les années qui viennent.

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