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24 mai 2018 4 24 /05 /mai /2018 09:19

J'ai assisté hier, à Paris, à une réunion qui faisait suite aux travaux d'une commission du Ministère français de la Culture sur le musée du XXI° siècle. Car, en France comme dans de nombreux pays, on continue de se demander, entre spécialistes, ce que les musées doivent, ou devraient, faire pour s'adapter aux changements culturels qui marquent ou ne manqueront pas de marquer ce nouveau siècle, déjà bien entamé et dont nul ne sait comment il va évoluer. C'est un exercice assez fascinant.

On sait depuis les années 1970 que le musée, tel qu'il a été hérité du XIX° siècle, s'éloigne de plus en plus de son environnement social, pour se concentrer sur la conservation de ses collections et sur l'accueil de publics cultivés, scolaires et touristiques que l'on veut aussi nombreux que possible. Malgré tous les efforts et quelques exceptons remarquables, l'immense majorité des habitants des territoires qui entourent ces musées ne semblent pas concernés. Ils ne le sont d'ailleurs pas plus par les autres grandes institutions de la haute culture. La démocratisation culturelle vantée par Malraux et tant d'autres apôtres et missionnaires de la culture, ne fonctionne pas. La culture vivante des gens prend d'autres formes, privilégie d'autres pratiques, musicales, vacancières, sportives, et maintenant multimédia et numériques.

Ici, en France, les autorités ont fini par découvrir qu'il était important d'écouter, les consommateurs, les "usagers", voire même de faire participer la population. Le mot "participation" est à la mode, mais à quoi faut-il participer ? A la gestion du musée ? A celle du patrimoine ? Mais de quel patrimoine ? Celui des listes de l'UNESCO ou des inventaires officiels de monuments historiques ? Et jusqu'où ira la participation ? seulement l'écoute, ou bien la consultation, ou encore la co-décision avec les autorités et les professionnels ?

On sait qu'il existe des expériences, certaines très réussies de reconnaissance et de mise en valeur des patrimoines locaux, par, avec et pour la population locale. Elles prennent parfois le nom d'écomusées, ou bien sont relativement informelles, associatives, ou encore sont dues à des initiatives personnelles de tel conservateur de musée motivé et créatif. Du coup, on étudie ces expériences, on fait intervenir leurs auteurs, on veut en extraire des principes généraux, pour des textes fondamentaux ou pour des directives, toujours nationales.

Car on continue à vouloir adapter "le" Musée à "notre" époque, comme si un musée était autre chose qu'un outil que chacun devrait pouvoir adapter à une situation, à un contexte, à un environnement humain.

Lors de cette réunion d'hier, il m'est apparu comme une évidence aveuglante qu'il était totalement illusoire de vouloir changer l'institution-musée par une réflexion de spécialistes qui ne pourrait aboutir qu'à des changements marginaux dans la réglementation qui, du moins en France, ne sera jamais que nationale, centralisée et contrôlée.

Alors, j'ai essayé de regarder différemment la question de l'avenir d'un musée quelconque, et non pas du Musée idéal. J'ai commencé par éliminer de cette réflexion les écomusées ou assimilés qui ont une démarche propre et qu'il  faudrait, comme en Italie, détacher du monde des musées. Ils sont une sorte de tribu expérimentale, fragile, hérétique parfois, qui a sa propre logique et qui pourrait apprendre beaucoup aux musées s'ils les écoutaient,  Puis je me suis dit que tout musée, quelle que soit sa dimension, sa spécialité, son statut, ses moyens financiers, le nombre de ses visiteurs, possède trois caractéristiques:

- un lieu d'implantation situé sur un territoire plus ou moins vaste, aux caractéristiques, géographiques, démographiques, administratives que l'on peut délimiter, éventuellement selon des périmètres concentriques;

- une équipe plus ou moins qualifiée et un responsable (conservateur, curateur, directeur, etc.), qui a la responsabilité, souvent pour le compte d'une collectivité territoriale, du musée et de son activité;

- une collection, plus ou moins importante, qui est souvent le fruit d'une longue histoire et est faite d’œuvres, d'objets, de spécimens vivants ou morts; cette collection, qu'elle soit exposée ou non, suppose des mesures de classement, de conservation, d'étude dont on ne peut s'affranchir.

Une fois cette base établie, il faut bien admettre qu'il n'y a pas deux musées semblables et que l'on ne peut conseiller, encore moins imposer à tous les musées les mêmes règles et les mêmes pratiques. En effet, si le musée est d'abord un service public, son environnement immédiat, les conceptions et les choix professionnels de ses responsables, et enfin les possibilités offertes par ses collections orienteront (ou devraient orienter) les services qu'il rendra au public. Or le public ici n'est pas la somme des visiteurs effectifs ou souhaités du musée, c'est la totalité de la population du territoire qui entoure le musée, qu'elle le fréquente ou non, qu'elle soit consciente de son existence ou non.

Dans la réalité et pour aller un peu plus loin, je crois que l'on peut distinguer trois types de situation muséale en fonction des caractéristiques  ci-dessus et de leur application à la réalité du terrain:

- le musée a une collection, mais n'est pas identifié à un territoire et à son patrimoine. Il peut alors devenir une attraction touristique, ou un centre de recherches scientifiques, ou un instrument pédagogique, ou simplement le "terrain de jeux" d'une petite minorité de passionnés. Un tel musée peut être un facteur d'image à l'extérieur, de prestige pour un élu, de retour économique sur investissement.

- le musée a une collection et est totalement ou partiellement identifié à un territoire et à son patrimoine. Le problème est ici double: accessibilité réelle à la collection de la part de tous les habitants du territoire, puis relation entre le musée et sa collection d'une part et le reste du patrimoine du territoire d'autre part.

- il y a un territoire et un patrimoine, mais il n'y a pas (ou pas encore) de musée, ou bien il y a un musée qui n'a pas encore de collection significative concernant le territoire. Il s'agit dans ce cas d'inventer une institution ou une politique capables de gérer le patrimoine du territoire dans l'intérêt des habitants et avec leur participation.

Dans tous les cas, et si le service de l'intérêt du territoire et de sa population (non pas "au XXI° siècle", mais aujourd'hui, demain et peut-être encore après-demain) est au cœur de la politique du patrimoine et du musée de ce territoire, il serait utile, sinon indispensable, de procéder dès que possible à un diagnostic (ou bilan, ou audit) patrimonial du territoire, avec la collaboration de la population et de ses structures publiques et privées, sociales et culturelles. On disposerait ainsi des éléments nécessaires à l'élaboration de plans et de programmes, où le musée trouverait naturellement sa place d'outil de gestion patrimoniale et de contribution au développement social, culturel, économique et environnemental du territoire.

Certes on est loin ici du PSC réglementaire et des récolements périodiques: on ne part d'une analyse d'un bâtiment, d'une collection, d'une institution et de publics existants, mais bien d'un espace physique, de sa population dans sa diversité et d'un patrimoine global dont la collection du musée, si elle existe, n'est qu'un élément précieux mais enfermé et physiquement stérilisé. Et on fait cela avec la population elle-même.

Si on suppose que ce processus a été suivi, on aboutit à un concept de musée issu du territoire, associé totalement ou partiellement au patrimoine vivant de ce même territoire. On peut alors reformuler les différentes missions traditionnelles du musée. Dans une première approche, cela pourrait donner ceci:

- l'acquisition d'objets à conserver dans les collections permanentes serait exceptionnelle et n'interviendrait qu'en cas d'absolue nécessité et d'absence d’autre solution..On s'attacherait plutôt à un inventaire partagé du patrimoine local et à la prise de responsabilité des habitants sur ce patrimoine qui resterait vivant et soumis aux aléas de la vie collective;

- la conservation s'appliquerait aux biens considérés par la population, aidée des spécialistes du musée, comme d'une particulière signification pour elle et pour le territoire; elle accompagnerait la vie du bien culturel ou naturel et ses éventuelles transformations d'usage; les biens immatériels seraient également protégés mais aussi susceptibles d'usages nouveaux et de transformations liées à la vie et à la créativité de la communauté.

- la recherche sur le patrimoine (et les collections qui en font partie) serait menée conjointement par des spécialistes des disciplines scientifiques et techniques concernées et par des habitants porteurs de mémoires, de savoirs et de compétences d'usage. Les résultats en seraient restitués à l'ensemble de la population.

- l'action éducative et culturelle s'adresserait à l'ensemble de la population et porterait surtout sur le patrimoine vivant du territoire, la collection propre du musée servant de matériau disponible en permanence pour des actions pédagogiques, ludiques, interactives, ou pour des manifestations (expositions par exemple, reproductions en 2 ou 3D) destinées à la population ou à des visiteurs extérieurs.

- la notion de public, ou d'usagers, ne s'appliquerait plus aux seuls visiteurs de l'espace physique du musée ou de ses activités même lorsqu'elles sont réalisées à l'extérieur de ses murs. En tant qu'institution publique, le musée s'adresserait à la population dans son ensemble, qu'elle soit intéressée ou pas, et à des visiteurs venus d’ailleurs (touristes, chercheurs). Il serait reconnu en particulier que chaque habitant, qu'il en soit conscient ou non, est à la fois un propriétaire (moral et culturel) et un usager de son patrimoine comme de son territoire.

Reste à discuter de la gouvernance du patrimoine et du musée. Je ne crois pas qu'il soit possible de donner une réponse unique à cette question, qui doit être résolue en fonction des particularités de chaque territoire, de son contexte politique et social, du caractère du professionnel responsable, de la mobilisation de la population et de ses corps intermédiaires, etc. On cherchera seulement à mettre le plus possible la population en situation de responsabilité effective dans les programmes de gestion et d'animation du patrimoine, donc du musée.

Le professionnel de musée (et du patrimoine en général) est au service de la population, il est un facilitateur de l'implication effective des citoyens dans la gestion de leur patrimoine. Il n'est pas au service d'une collection, si prestigieuse soit-elle ou d'une idée générale comme la Science, la Connaissance ou la Culture. L'alternative existe, il faut le dire car elle n'est pas critiquable en soi: c'est le musée comme lieu dédié au tourisme, sous toutes ses formes. Mais c'est une toute autre démarche. Je crois vraiment que ce qui est le plus important pour notre génération et les générations à venir est d'inventer chaque musée sur son territoire, avec la population qui doit en être à la fois acteur et bénéficiaire

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