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22 novembre 2022 2 22 /11 /novembre /2022 10:18

Je ne suis pas professionnel de musée, mais il faut bien parler plus spécifiquement de l'évolution de l'institution-musée depuis Santiago. Dès la Conférence générale de l'ICOM en 1971, il avait été clair que le musée devait s'adapter aux changements du monde contemporain. Les interventions de Mario Vazquez et de Stanislas Adotevi à Grenoble, et même les discours de Jacques Duhamel et de Robert Poujade avaient entraîné la décision de revoir la définition du musée et d'y inclure la mission de développement.  Ce fut chose faite en 1974, à Copenhague. La Conférence de Kyoto (2019), puis celle de Prague (2022), ont été plus loin et repris l'esprit de Santiago en lui ajoutant un vocabulaire moderne étendu à des concepts et à des préoccupations qui correspondent au monde des années 2020. Tout cela est bien, mais reste du niveau de la théorie et des principes de l'institution-musée.

(Je me permets de noter que j'ai écrit un petit livre sur mes années à l'ICOM (1962-1974), que l'on peut trouver sur mon site web: http://www.hugues-devarine.eu/book/documents/book. On peut trouver également des informations sur cette période dans mon livre "L’Écomusée singulier et pluriel", Paris, L'Harmattan, 2017, qui a été édité en espagnol et en italien.)

De mon point de vue, qui est celui du territoire et du développement local, je préfère regarder en quoi le musée a effectivement changé, du point de vue du développement local, c'est à dire de la gestion du patrimoine sur les territoires.

 

Qu'est-ce qui a changé dans les fonctions traditionnelles de l'institution ?

 

La collection reste au cœur du musée, du moins dans sa forme officielle et réglementée, mais elle est doublement contestée:

- par la demande de restitution provenant des personnes et des pays victimes soit de confiscations d'objets et d’œuvres d'art (par exemple pendant la seconde guerre mondiale), soit de vols au titre de butin de guerre lors des conquêtes coloniales, soit encore de détournements illégaux lors de fouilles clandestines, de guerres civiles ou simplement de trafics internationaux;

- et aussi par un nombre toujours croissant de structures ou d'institutions, appelées musées ou non, qui ne

considèrent pas la collection comme l'essentiel de leur action, mais un élément parmi d'autres. Un colloque récent au Portugal (Fundão, 2022) a souligné l'importance des non-musées, qui s'affranchissent de certaines normes muséologiques mais exercent des missions importantes qui sont actuellement celles des musées.

Si les fonctions de conservation, d'accueil du public, d'éducation, n'ont guère changé, il faut noter l'entrée du numérique dans le monde des musées aussi bien pour le traitement des collections que pour l'exposition et en général le rayonnement du musée en dehors de ses murs. Cela a atteint une importance considérable pendant la pandémie du Covid 19 et les différentes périodes de confinement, où les musées ont surtout communiqué virtuellement avec leurs publics. De plus, de nouvelles approches s'appliquent à la communication avec le public, comme la "médiation" qui implique la prise en compte de l'intelligence, des connaissances et de la culture vivante de ce public dans l'interprétation des expositions, permanentes ou temporaires.

Les nouveaux musées qui se sont créés ou transformés pendant cette période ont aussi modifié leurs méthodes de travail, en recherchant de nouveaux publics, en sortant de leurs murs pour faire circuler leurs collections, en faisant entrer au musée de nouvelles formes d'action artistique (art contemporain vivant; musique, danse, etc.).

Tout cela peut être considéré comme une évolution allant dans le sens souhaité à Santiago, sans pour autant remettre en cause la formule du musée traditionnel, qui reste l'esclave de sa collection et des champs scientifiques auxquels elle appartient, et qui est obsédé par son public essentiellement érudit, captif et touristique. On peut se demander pourquoi tous les efforts faits par les responsables de ces musées, leurs services communicants et éducatifs et les porteurs d'activités diverses (numériques, musicales, artistiques...) n'ont pratiquement jamais véritablement réussi à  élargir leurs publics à l'ensemble de la population du territoire, avant de prendre en compte les visiteurs extérieurs. 

En fin de compte, et quitte à choquer certains, mon expérience me pousse à appeler ces institutions, qui peuvent aller du Musée du Louvre au dernier musée ethnographique local, des musées collectionneurs, car, dans la décision finale, c'est toujours l’intérêt de la collection qui prime.

 

Tout un monde de nouveaux musées, porteurs de nouveaux schémas

 

A côté des musées traditionnels, changés ou non, nous constatons depuis trente ou quarante ans l'émergence de nouveaux musées et de nouvelles manières de préserver et de gérer le patrimoine et la mémoire, et aussi de présenter les grandes questions qui intéressent notre monde actuel. Sans vouloir proposer une typologie, je choisirai de citer deux tendances :

- des musées qui sont créés par  des communautés ou des groupes, en vue de défendre des intérêts et des causes spécifiques. Ils ne sont pas nécessairement appuyés principalement sur le patrimoine ou la mémoire, mais leur font souvent appel pour soutenir des argumentaires et enrichir discours et présentations. Ces musées concernent par exemple les luttes des femmes ou des LGBT, l'identité ou les revendication de communautés autochtones, des problèmes sociaux ou du travail, etc. Je propose de les appeler des musées activistes. Ces musées militent pour des causes, ils sont des outils politiques, éducatifs ou sociaux.

- des musées qui combinent les trois composantes du territoire, de la communauté et du patrimoine, sans nécessairement respecter les normes muséologiques et dont les responsables sont généralement des volontaires (bénévoles), plus ou moins encadrés ou accompagnés par des professionnels et des experts "engagés" à leurs côtés. On peut les appeler musées communautaires, même si la dimension collective prend des fomes variables, selon les lieux et les circonstances. On y trouve les écomusées, ou du moins ceux qui défendent les caractéristiques liées à ce mouvement,  et de nombreuses structures qui ne portent pas ce nom, que le colloque de Fundão a proposé d’appeler non-musées.

A noter que les museos comunitarios d'Amérique Latine appartiennent aux "musées activistes", au côté des musées autochtones, car ils ont une démarche clairement politique, même si  ce sont aussi des musées de territoire, représentatifs de leur population et fortement impliqués dans la gestion communautaire du patrimoine local.

La pandémie que nous vivons a bien mis en valeur la spécificité de ces nouveaux musées: alors que les musées traditionnels, professionnels, dépendant des lois nationales et des moyens mis à leur disposition par les budgets publics ou privés, ont fermé leurs portes pendant les périodes de confinement, pour tenter seulement de maintenir une fiction d'activité par le numérique, de très nombreux musées activistes ou communautaires sont restés actifs, et parfois même inventifs et innovants, parce que leurs murs et leurs collections n'étaient pas au cœur de leurs préoccupations, et parce que leurs acteurs effectifs faisaient effectivement partie de leurs communautés respectives.

 

Une question de responsabilité

 

La Table ronde de Santiago ne s'adressait pas à des musées, mais à des directeurs de musées publics et les intervenants, experts latino-américains dans les principaux secteurs du développement régional, leur parlaient comme à des collègues, qui étaient comme eux acteurs de la vie publique des États, des villes et des territoires où ils servaient et qu'ils servaient. Et il était clair pour tous que l'on était conscient d'une responsabilité. Mais de quelle responsabilité ? Je crois que la déclaration finale a décidé: c'était une responsabilité intégrale, du musée et de ses responsables vis-à-vis de la société, c'est-à-dire de la communauté humaine à laquelle ils appartenaient.

Il ne s'agissait pas en effet seulement de la responsabilité institutionnelle "réglementaire" sur les collections, sur la qualité des activités culturelles et scientifiques, sur l'accueil et l'éducation ou la satisfaction des visiteurs, il s'agissait bien de la responsabilité d'agir, avec tous les moyens de l'outil-musée pour répondre aux besoins de la communauté, aux côtés et en collaboration avec les autres outils disponibles, techniques, culturels, éducatifs, sociaux, sanitaires, économiques, administratifs. C’est à dire passer du service du musée au service de la société.

La récente nouvelle définition internationale du musée approuvée par l'ICOM va dans ce sens et peut ainsi être considérée, de l’extérieur, comme s'inscrivant dans la continuité de Santiago, et aussi d'autres manifestations collectives à la fois d'un changement de mentalité des professionnels et d'un vrai désir de nouvelles pratiques (Québec, Oaxtepec, Guwahati, Faro, Sienne...). Elle reste cependant encore largement théorique et seuls les musées ou non-musées activistes et communautaires ont massivement contribué à inventer des muséologies que j'appelle "inculturées", en ce qu'elles émanent, ou tentent d'émaner des sociétés, des cultures et des contextes qu'elles veulent à la fois représenter et servir, ou plutôt dont elles se sentent responsables.

 

 

 

 

 

 

 

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