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20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 17:59

Le Grand Débat proposé par le gouvernement est maintenant terminé, du moins dans sa partie publique, qu'il s'agisse des rencontres sur le terrain ou des contributions en ligne. Ce fut manifestement un succès populaire dont on peut déjà tirer une conclusion générale qui confirme celle qui ressortait du mouvement dit des Gilets Jaunes : les citoyens éprouvent un fort besoin de participer à la décision politique, et pas seulement par l'accomplissement périodique de leur "droit de vote".

On verra dans les mois qui viennent ce que le Président, le gouvernement, le Parlement et l'administration lui donneront, au-delà des discours, comme suites politiques, législatives et réglementaires et comment ce sera accueilli par l'opinion publique.

Mais, après avoir suivi ce débat, ou plutôt ces débats, aussi bien sur le terrain, sur la Plateforme que dans les médias, le citoyen lambda et âgé que je suis veut tirer ses propres conclusions, ne serait-ce que pour prendre date.

1. Les questions posées, étant de niveau national, ne pouvaient recevoir que des réponses de niveau national, c'est à dire des affirmations et des revendications simples sur des sujets d'une grande complexité. On est presque toujours resté au niveau des déclarations "de café du Commerce" que l'on entendait depuis très longtemps, sans qu'elles apparaissent autrement que sous la forme de statistiques suite aux innombrables enquêtes d'opinion, tellement fréquentes qu'elles en devenaient inaudibles.

2. Les débats locaux, par leur vitalité, montraient bien la capacité des participants à des échanges collectifs, sérieux, respectueux, et un besoin de médiation pour assurer l'obtention de résultats par consensus. Par contre, les contributions sur la plateforme en ligne, parce qu'elles émanaient d'individus, restaient une juxtaposition d'avis isolés, à mon avis inutilisables car ne pouvant prétendre représenter des positions collectives.

3. Pour la même raison, la proposition référendaire, de plus en plus présente au fur et à mesure de la progression du Grand Débat, n'offre aucune piste utile pour une participation des citoyens à la politique, car elle ne permet qu'une addition d'opinions individuelles sur des sujets complexes, nécessairement commentés par des informateurs partisans pendant les campagnes pré-référendaires.

4. Quelques débats, organisés et restitués par des corps intermédiaires (syndicats, associations entre autres), ont démontré la capacité de ces corps à se saisir des questions posées par le pouvoir et à leur proposer des réponses articulées et argumentées. Toutefois, elles n'émanent que des états-majors de ces corps intermédiaires et, vu le calendrier du Grand Débat, n'étaient pas le résultat de discussions en interne et d'un véritable consensus.

5. Chaque fois que, dans un débat local, des sujets relevant du territoire, du cadre de vie et de l'avenir des participants et de la communauté locale étaient abordés, la discussion devenait concrète et aboutissait à des propositions également concrètes, adressées non pas anonymement au pouvoir central mais à des interlocuteurs clairement désignés pour leur pouvoir de décision ou de transmission aux échelons supérieurs.

6. La masse des données rassemblées et traitées par algorithmes ne permettra jamais de dégager des conclusions autres que très générales, contradictoires, où chacun pourra trouver ce qu'il cherche, pour le revendiquer ou pour le contester.

 

 

Quelles que soient les décisions qui seront annoncées au sommet de l’État et leur application pratique sur le terrain, on peut craindre que le besoin de participer effectivement et utilement à la décision politique, exprimé justement et fortement à la fois par le mouvement des Gilets Jaunes et par les participants au Grand Débat, ne soit pas satisfait durablement, pour plusieurs raisons :

- un débat national de cette ampleur, comme le référendum demandé par beaucoup, ne peut être institutionnalisé, parallèlement à la démocratie représentative, sous peine de se réduire à un affrontement permanent entre une masse inorganisée – "le Peuple" – et un Président supposé tout puissant ;

- ce débat ne peut porter que sur des sujets tellement généraux, complexes et même souvent contradictoires (par exemple augmenter le pouvoir d'achat et baisser les impôts), que les réponses données ne seront jamais considérées comme acceptables par la partie la plus radicale ;

- les citoyens qui demandent le plus à participer ne sont pas actuellement capables d'être des acteurs crédibles et efficaces de la politique nationale, par manque d'information, d'expérience et de connaissances, et ils ne savent pas négocier : on ne leur a jamais demandé que de voter tous les cinq ou six ans, et encore beaucoup s'abstiennent…

- les corps intermédiaires (partis politiques, syndicats, associations) ne sont pas, au plan national, plus démocratiques et se comportent plus comme des contre-pouvoirs que comme des acteurs conscients de la décision politique.

 

Et pourtant, le besoin, ou plutôt l'exigence, de participation, que nous sommes nombreux à avoir relayée depuis quarante ou cinquante ans, est bien réel et ce mouvement des Gilets Jaunes lui donne une légitimité et une force que nos démonstrations théoriques appuyées sur des pratiques locales incontestables mais isolées ne pouvaient avoir. Il faut en profiter et conseiller aux pouvoirs publics de tous niveaux de rechercher dans l'expérience acquise les principes et les méthodes qui permettraient de mettre en place progressivement des dynamiques locales de participation des citoyens à la décision politique et à la mise en œuvre de solutions efficaces aux problèmes d'intérêt commun, et cela d'abord à l'échelle communale, intercommunale, de quartier, de pays, c'est à dire des territoires de la vie quotidienne (bassin de vie, bassin d'emploi).

Une telle participation ne pourrait être que collective, c'est à dire basée sur le débat entre égaux, solidaires du problème posé, de la décision adoptée et des modalités de réalisation. La norme devrait être le consensus, même si des votes seraient nécessaires sur les points de vrais désaccords de fond. Il y a assez d'exemples de ces pratiques, en France même et à l'étranger, pour fournir des références et des évaluations : il suffirait d'aller les chercher et de les faire témoigner.

Il me semble que si un dispositif de ce genre était proposé par les échelons intermédiaires (département, région, métropole), autorisé par le pouvoir central et repris par des élus motivés s'appuyant sur le tissu associatif local et les forces vives de la société civile, on pourrait voir naître, de proche en proche, non pas par loi ou décret, mais par contamination, une multiplicité d'initiatives qui transformeraient la vie politique et sociale locale entre deux périodes électorales et apprendraient aux citoyens à s'intéresser au bien commun, à jouer un rôle constructif et aussi critique, à négocier des décisions, à analyser la complexité des situations.

Et peut-être, dans une ou deux générations, un nombre croissant de Français seraient-ils devenus capables d'êtres des acteurs politiques responsables, peut-être pas très faciles à manipuler ou à faire voter, mais conscients.

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