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19 août 2013 1 19 /08 /août /2013 14:38

 

Lu dans le Bien Public du dimanche 18 août un article bien documenté sur le retable du Jugement dernier de Rogier Van der Weyden aux Hospices de Beaune. Sa lecture m’a rappelé une histoire qui est très significative du désordre actuel des idées en matière d’art.

Il y a quarante ans, un ami, René Sneyers, alors directeur de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique de Bruxelles, qui séjournait en vacances chez moi en Bourgogne, a été consulté informellement sur la possibilité technique (en matière de conservation physique, éclairage, climatisation, etc.) de replacer, après restauration, le polyptyque dans son emplacement original, sur l’autel de la chapelle de la salle des malades de l’hôpital. Il se serait agi de reconstituer l’aménagement ancien de cette salle avec le Christ aux Liens de Claus Sluter au dessus de la porte d’entrée de la salle et le retable du jugement dernier sur l’autel. La tradition en effet voulait que lors de l’agonie d’un malade, une procession traverse la salle en chantant les prières des agonisants, dans un parcours symbolique, entrant sous le regard du Christ de pitié puis allant jusqu’au jugement denier.

On était là en pleine démarche spirituelle et mystique, aidée par l’art : un exemple parfait dans notre vocabulaire actuel de la liaison entre les aspects matériel et immatériel complémentaires de l’art, donc du sens et de l’utilisation de l’œuvre.

Ce schéma – techniquement et scientifiquement réalisable – a été abandonné, paraît-il sous la pression du gardien-guide "historique" des Hospices, qui gagnait ses pourboires en montrant aux visiteurs émerveillés, avec une grosse loupe, les larmes dans les yeux des damnés et les pépins des fraises des bois sur le retable placé, bien éclairé, dans une salle de type musée.

Bien entendu, il n’y a plus de malades dans la grande salle de l’Hôtel Dieu de Beaune et la religiosité actuelle n’est plus ce qu’elle était au 15° siècle, ou même au 19°. Mais est-ce que le message donné aux visiteurs par la présentation actuelle est correct ? Même s’il y a un commentaire écrit ou oral plus ou moins complet, est-ce que l’œuvre d’art conserve tout son sens, sans le cadre pour lequel elle a été conçue ? Est-ce que le matériel est dissociable de l’immatériel ? N’y a-t-il pas une tromperie à faire passer l’histoire de l’art avant la connaissance des croyances et des pratiques qui ont commandité les créations artistiques ? Surtout lorsque la culture religieuse a pratiquement disparu dans la presque totalité de la population. L’art existe-t-il indépendamment de son sens ?

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commentaires

D
A wonderfully profound and important reflection, urging us to rethink what creation is and not merely creativity.
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