On parle beaucoup depuis quelque temps de la menace que fait peser sur les associations le projet de réforme des collectivités territoriales. On parle moins, parce que c'est politiquement moins
porteur, de la menace supplémentaire due à la réduction des marges de manœuvre financières des mêmes collectivités territoriales, dans leur situation actuelle, en raison de la croissance de leurs
dépenses d'aide sociale, entre autres. Il est certain que les deux se combinent pour justifier une inquiétude et une mobilisation de l'ensemble des parties concernées.
Mais cela pose un problème de méthode et d'argumentaire car, dans tous les cas, les auteurs de ces considérations inquiétantes persistent à considérer le monde associatif comme un tout homogène
et solidaire, en se gardant bien de reconnaître l'existence d'au moins deux mondes associatifs très distincts:
- il y a celui des associations militantes dont les membres volontaires et non rémunérés poursuivent un but social qui leur est commun, avec l'aide de temps à autre de quelques financements
publics ou du mécénat et parfois d'un salarié en statut plus ou moins précaire et presque aussi militant que ses "employeurs". Ce sont ces associations dont l'existence et la nécessité pour le
corps social et pour la démocratie justifiait la loi de 1901.
- il y a aussi celui des associations gestionnaires de services publics et de leurs unions ou fédérations (on devrait plutôt dire lobbies), que l'État et les divers niveaux de collectivités
territoriales ont progressivement constitué pour prendre en charge des fonctions et des actions qu'elles ne pouvaient plus ou ne voulaient plus assumer. Ce sont des entreprises privées, dont les
membres réellement actifs se comptent sur les doigts d'une main, mais dont les effectifs salariés se comptent par dizaines, centaines, sinon par milliers selon leurs niveaux d'activité.
Il n'y a de commun entre ces deux catégories qu'une seule chose: le fameux caractère "non-lucratif" qui les rattache à l'économie sociale, voire solidaire. Ces entreprises en effet n'ont pas de
capital financier, qu'elles n'ont donc pas à rémunérer. Pour les unes, de la première espèce, le capital est un capital humain qui cherche seulement à atteindre son objectif social. Pour les
autres, du second groupe, le montant des subventions publiques, dont il est entendu qu'il doit croître chaque année, est considéré comme une contrepartie du service rendu à la collectivité.
Que certaines d'entre elles, dont le chiffre d'affaires est le plus important, rémunèrent plus que correctement, directement ou indirectement, leurs cadres supérieurs fait partie du non-dit. Les
associations culturelles et sociales admettent mal, d'ailleurs qu'on les soupçonne de mauvaise gestion.
En réalité, les pouvoirs publics, quel que soit leur niveau "achètent" à ces associations des prestations en échange d'une contrepartie appelés "subvention". D'ailleurs la Commission de Bruxelles
ne s'y est pas trompée en tentant de soumettre ces prestations aux règles des marchés publics, via la directive "services". Même si cette tentative n'a pas atteint tout son but, il semble évident
que la Commission reviendra à la charge et finira par mettre fin à une situation qui, comme pour les intermittents du spectacle, fait partie des "exceptions" françaises.
Ne pourrait-on saisir l'occasion du contexte actuel pour remettre en question, non pas la loi de 1901, mais bien l'instrumentalisation qui en est faite. Alors que, jusqu'à la seconde guerre
mondiale, il n'existait pas de statut d'entreprise non-publique pour la gestion de services d'intérêt général, toute une gamme de statuts a progressivement été créée, des SEM aux établissements
publics locaux ou culturels, des UES aux SCIC, des GE et GEIQ aux GIP, et j'en oublie probablement. Mais pendant tout ce temps, on a continué à user et abuser du statut associatif, comme s'il
était le seul acceptable moralement et éthiquement, sous des prétextes qui frisent l'incompétence et le ridicule.
Réfléchissons un peu. Est-il condamnable de vouloir faire des bénéfices pour les réinvestir exclusivement dans le développement de l'objectif social (et non pas dans l'augmentation des salaires
des cadres) ? N'aurait-t-on pas le droit de faire financer des services d'intérêt général par les parties prenantes de ces services, c'est à dire par l'ensemble de ses utilisateurs (citoyens,
entreprises, collectivités, usagers, syndicats, institutions diverses) ? Le fait de disposer d'un capital apporté par des partenaires/actionnaires qui n'attendent pas d'autre retour sur
investissement qu'un service d'intérêt général de qualité est-il critiquable ? L'indépendance d'une entreprise de l'économie sociale ne peut-elle être garantie que par le contrôle de l'État ?
Si, grâce aux difficultés actuelles, on ne commence pas à explorer ces pistes et d'autres qui se présenteront au fur et à mesure de la réflexion, je crains que les centaines de milliers de
petites associations composées de volontaires militants ne continuent longtemps à servir d'alibi ou de paravent aux quelques milliers d'associations qui servent de faux-nez au secteur public et
dont les innombrables salariés plus ou moins précaires verraient leurs emplois mieux garantis par leur intégration dans de vraies entreprises d'économie sociale capables de résister plus
efficacement aux redéploiements en cours dans les administrations publiques.