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31 décembre 2011 6 31 /12 /décembre /2011 12:17

On parle beaucoup depuis quelque temps de la menace que fait peser sur les associations le projet de réforme des collectivités territoriales. On parle moins, parce que c'est politiquement moins porteur, de la menace supplémentaire due à la réduction des marges de manœuvre financières des mêmes collectivités territoriales, dans leur situation actuelle, en raison de la croissance de leurs dépenses d'aide sociale, entre autres. Il est certain que les deux se combinent pour justifier une inquiétude et une mobilisation de l'ensemble des parties concernées.

Mais cela pose un problème de méthode et d'argumentaire car, dans tous les cas, les auteurs de ces considérations inquiétantes persistent à considérer le monde associatif comme un tout homogène et solidaire, en se gardant bien de reconnaître l'existence d'au moins deux mondes associatifs très distincts:
- il y a celui des associations militantes dont les membres volontaires et non rémunérés poursuivent un but social qui leur est commun, avec l'aide de temps à autre de quelques financements publics ou du mécénat et parfois d'un salarié en statut plus ou moins précaire et presque aussi militant que ses "employeurs". Ce sont ces associations dont l'existence et la nécessité pour le corps social et pour la démocratie justifiait la loi de 1901.
- il y a aussi celui des associations gestionnaires de services publics et de leurs unions ou fédérations (on devrait plutôt dire lobbies), que l'État et les divers niveaux de collectivités territoriales ont progressivement constitué pour prendre en charge des fonctions et des actions qu'elles ne pouvaient plus ou ne voulaient plus assumer. Ce sont des entreprises privées, dont les membres réellement actifs se comptent sur les doigts d'une main, mais dont les effectifs salariés se comptent par dizaines, centaines, sinon par milliers selon leurs niveaux d'activité.

Il n'y a de commun entre ces deux catégories qu'une seule chose: le fameux caractère "non-lucratif" qui les rattache à l'économie sociale, voire solidaire. Ces entreprises en effet n'ont pas de capital financier, qu'elles n'ont donc pas à rémunérer. Pour les unes, de la première espèce, le capital est un capital humain qui cherche seulement à atteindre son objectif social. Pour les autres, du second groupe,  le montant des subventions publiques, dont il est entendu qu'il doit croître chaque année, est considéré comme une contrepartie du service rendu à la collectivité. Que certaines d'entre elles, dont le chiffre d'affaires est le plus important, rémunèrent plus que correctement, directement ou indirectement, leurs cadres supérieurs fait partie du non-dit. Les associations culturelles et sociales admettent mal, d'ailleurs qu'on les soupçonne de mauvaise gestion.

En réalité, les pouvoirs publics, quel que soit leur niveau "achètent" à ces associations des prestations en échange d'une contrepartie appelés "subvention". D'ailleurs la Commission de Bruxelles ne s'y est pas trompée en tentant de soumettre ces prestations aux règles des marchés publics, via la directive "services". Même si cette tentative n'a pas atteint tout son but, il semble évident que la Commission reviendra à la charge et finira par mettre fin à une situation qui, comme pour les intermittents du spectacle, fait partie des "exceptions" françaises.

Ne pourrait-on saisir l'occasion du contexte actuel pour remettre en question, non pas la loi de 1901, mais bien l'instrumentalisation qui en est faite. Alors que, jusqu'à la seconde guerre mondiale, il n'existait pas de statut d'entreprise non-publique pour la gestion de services d'intérêt général, toute une gamme de statuts a progressivement été créée, des SEM aux établissements publics locaux ou culturels, des UES aux SCIC, des GE et GEIQ aux GIP, et j'en oublie probablement. Mais pendant tout ce temps, on a continué à user et abuser du statut associatif, comme s'il était le seul acceptable moralement et éthiquement, sous des prétextes qui frisent l'incompétence et le ridicule.

Réfléchissons un peu. Est-il condamnable de vouloir faire des bénéfices pour les réinvestir exclusivement dans le développement de l'objectif social (et non pas dans l'augmentation des salaires des cadres) ? N'aurait-t-on pas le droit de faire financer des services d'intérêt général par les parties prenantes de ces services, c'est à dire par l'ensemble de ses utilisateurs (citoyens, entreprises, collectivités, usagers, syndicats, institutions diverses) ? Le fait de disposer d'un capital apporté par des partenaires/actionnaires qui n'attendent pas d'autre retour sur investissement qu'un service d'intérêt général de qualité est-il critiquable ? L'indépendance d'une entreprise de l'économie sociale ne peut-elle être garantie que par le contrôle de l'État ?

Si, grâce aux difficultés actuelles, on ne commence pas à explorer ces pistes et d'autres qui se présenteront au fur et à mesure de la réflexion, je crains que les centaines de milliers de petites associations composées de volontaires militants ne continuent longtemps à servir d'alibi ou de paravent aux quelques milliers d'associations qui servent de faux-nez au secteur public et dont les innombrables salariés plus ou moins précaires verraient leurs emplois mieux garantis par leur intégration dans de vraies entreprises d'économie sociale capables de résister plus efficacement aux redéploiements en cours dans les administrations publiques.

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28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 18:34

 

Cette initiative nous vient du Portugal, mais elle est appuyée par des experts de toute l'Europe. Je pense qu'elle doit être connue le plus largement possible et que des initiatives analogues devraient se produire ailleurs, même dans les pays qui ne sont pas en première ligne de la dette. En France, un collectif pour un audit citoyen de la dette publique se met en place également: http://www.audit-citoyen.org.

 

 

http://auditoriacidada.info

 

Convocation pour la Convention de Lisbonne


Les réductions dans les fonctions les plus basiques de l’État sont en train d’être justifiées par le besoin de financer le payement de la dette publique. Les mesures d’austérité affectent la vie des personnes qui sentent au jour le jour les effets de l’appauvrissement et de la dégradation des conditions d’accès à la santé, à l’habitation, au travail, à la justice, à la culture e à tous les autres piliers de la démocratie.

Connaître la dette publique n’est pas seulement un droit, mais aussi une étape essentielle quand on trace des stratégies pour l’avenir d’un pays, parce que les parcelles d’une dette ne correspondent pas toujours effectivement à des compromis de l’État et parce ceux-ci ne sont pas toujours légitimes. Dans un audit à la dette, on vérifie les compromis assumés par un débiteur, en considérant leur origine, légitimité, légalité e soutenabilité. Un audit à la dette publique fait cette analyse para rapport aux compromis du secteur public vis-à-vis des créanciers, à l’intérieur e en dehors du pays, et inclut la dette privée qui est garantie par l’État.


Quand l’intervention de la «troika» a commencé, la dette publique portugaise avait dépassé 90% de la richesse annuelle produite par le pays (PIB  - Produit Interne Brut). En 2013, date prévue pour la fin de l’intervention, la dette dépassera 106% du PIB de cette année-là. Entretemps, la production de richesse aura reculé à des valeurs d’il y a presque une décennie et le chômage aura dépassé 13%. Ce sont les prévisions du gouvernement lui-même, mais la réalité pourra être bien pire. Beaucoup de choses dépendront de l’évolution de la situation en Europe et dans le reste du monde.


L’incapacité des leaders  européens, démontrée par la détérioration de la situation en Grèce, pourra mettre en danger l’Euro et même le projet d’intégration européenne. L’insistance sur la voie de l’austérité, on le sait aujourd’hui, est en train de précipiter une nouvelle récession à l’échelle globale.


A la fin de l’intervention de la «troika», Portugal aura une dette publique plus élevée et sera plus pauvre. Sur son chemin restera une trace de destruction et de régression sociale : des services publics démantelés, un secteur productif  remis à zéro, chômage et compression des salaires, des familles en banqueroute. On reconnaîtra alors que la dette publique est insupportable et que les sacrifices ont été inutiles, qu’ils ont servi uniquement à aggraver les problèmes qu’ils promettaient résoudre, en conduisant le pays à un déclin à perdre de vue.

Nos considérons qu’il est possible, urgent et essentiel que l’on évite ce scénario. Pour cela faire, la question de la dette doit être envisagée d’un point de vue réaliste, compatible avec la sauvegarde de valeurs et de droits humains fondamentaux, universellement reconnus.

Il faut reconnaître, et faire reconnaître, que la dette publique n’est qu’un des multiples compromis de l’État portugais. Au-delà de ses obligations contractuelles auprès des créanciers, l’État a des devoirs inaliénables vis-à-vis de tous les citoyens, soit des générations actuelles, soit des générations à venir. L’État portugais doit être le garant de droits sociaux fondamentaux consacrés dans la Constitution et dans le droit international et ces droits sont prioritaires par rapport à tous les autres. Faire prévaloir les droits des créanciers est illégitime, non seulement du point de vue moral mais aussi du point de vue juridique.


La dette publique portugaise devra forcément  être restructurée  et doit l’être par l’initiative de l’État portugais, en prolongeant ses maturités e en réduisant les intérêts et les montants. Plus tard ceci sera reconnu, pires seront les conditions de négociation. Aujourd’hui il sera déjà plus difficile de renégocier avec le FMI et l’UE qu’il ne l’aurait été hier avec plusieurs créanciers privés et l’audit peut nous mener à la conclusion qu’il y a certaines parcelles de la dette qui sont illégitimes, qui doivent être répudiées.

C’est parce qu’ils sont conscients de l’importance d’un abordage différent au problème de la dette publique portugaise que les signataires se constituent en promoteurs d’une Convention qui aura lieu, à Lisbonne, le 17 Décembre 2011, et qui doit instituer un procès d’Audit Citoyen de la Dette Publique.


Nous lançons un appel à ce que tous se mobilisent dans la préparation de cette convention et participent aux travaux qui auront lieu ce jour-là et dans ceux qui suivront.


La Convention a les objectifs suivants :

  1. Présenter aux citoyens de nouveaux instruments de fiscalisation et d’intervention dans la vie publique, qui renforcent la démocratie ;

  2. Rendre transparent pour les citoyens le procès d’endettement de l’État portugais et la situation actuelle de la dette publique dans leur différents éléments ;

  3. Débattre les implications et identifier des alternatives pour la résolution du problème de la dette publique ;

  4. Formaliser le lancement de l’Initiative pour un Audit Citoyen de la Dette Publique ;

La Convention doit :

  1. Établir les principes fondamentaux qui doivent enformer le procès de l’audit ;

  2. Délibérer sur les formes d’organisation du procès de l’audit qui articulent la participation citoyenne active avec l’apport spécialisé des experts ;

  3. Constituer, approuver la composition et mandater la commission qui donnera lieu à l’Audit Citoyen de la Dette Publique ;

  4. Analyser les expériences d’audit citoyen effectuées dans d’autres pays ;

  5. Chercher des formes d’articulation avec d’autres initiatives d’audit citoyen, nommément celles de la Grèce et d’Irlande, et avec les mouvements qui sont en train de s’organiser dans l’Alliance Européenne des Initiatives pour un Audit Citoyen;

  6. Chercher de l’aide auprès des organisations qui, à l’échelle internationale, ont déjà rassemblé des connaissances dans le domaine des audits ;

  7. Trouver des formes de financement du procès d’audit citoyen.

Traduction de Joana Lopes

 

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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 15:14

J'ai assisté récemment à une réunion au cours de laquelle on a souvent répété que les jeunes, en majorité, souffraient de la précarité de l'emploi, qu'ils étaient une génération perdue, que cela expliquait les incivismes, les délinquances, etc. Depuis, j'ai discuté de cela avec plusieurs interlocuteurs de diverses origines sociales et professionnelles, de plusieurs générations.Et j'ai vu dans la presse de nombreuses considérations allant dans le même sens. Naturellement, on fait toujours référence à la crise, ou aux crises, pour expliquer ces phénomènes.

 

Il me semble que, depuis déjà une trentaine d'années, cette précarité est devenue un état "normal" pour les jeunes et que les politiques publiques, de droite comme de gauche, n'ont fait que la renforcer et la rendre permanente. Le "traitement social du chômage", marqué par d'innombrables mesures d'emplois aidés qui ciblent généralement surtout les jeunes, le statut d'intermittent du spectacle, les essais successifs de créer un SMIC jeunes ou des contrats d'insertion spécifiques sous des noms très divers, tout cela a confirmé, dans l'esprit des jeunes comme de l'ensemble de la population, que l'entrée dans la vie adulte passait inévitablement par une période de précarité.

 

Dans le même temps, la culture des jeunes changeait extrêmement rapidement, s'adaptant à leurs conditions objectives d'existence. D'une part, l'influence de l'évolution de la société en général - consommation, société de loisir, individualisme, sexualité - renforçait chez les jeunes l'idée qu'il fallait privilégier une recherche du bonheur qui ne pouvait se trouver ni dans le travail, ni dans la vie familiale. D'autre part, l'entrée dans un monde de communication virtuelle et l'apparition de nouveautés attrayantes (de la musique aux pratiques à risque) éloignait les jeunes des vieux concepts porteurs de conformisme social.

 

J'entends souvent parler de jeunes - qualifiés ou non - qui ne travaillent que lorsqu'ils ont besoin d'argent pour satisfaire leurs besoins immédiats, la subsistance quotidienne, un voyage, l'achat de shit ou de boissons diverses, des vêtements, et qui dès qu'ils ont épargné suffisamment, cessent de travailler pour pouvoir consommer à leur guise. On est loin du "boulot stable" pour la vie, ou du mariage également pour la vie, ou de la poursuite d'un projet personnel ou professionnel à long terme.

 

Il ne sert à rien de s'en indigner, ou de chercher à revenir à un état antérieur. Même si cela nous paraît inconfortable, même si la vie sociale en souffre, nous devrions plutôt essayer de reconnaître la "normalité" de cet état de choses et de penser à l'avenir de ces jeunes quand ils ne seront plus jeunes: dans le système actuel, ils arriveront à la vieillesse avec un minimum de ressources, puisqu'ils cotisent peu et tard pour leur retraite et que ces retraites elles-mêmes seront sans doute précaires; ils seront de plus en plus seuls, les relations virtuelles n'étant guère efficaces du point de vue de la solidarité concrète. Leurs modes de vie devront à nouveau changer. Comment les aider à s'y adapter ?

 

Il y a évidemment de très nombreuses exceptions et les jeunes militants, politiques, religieux, solidaires, comme les jeunes professionnels qui construisent leur carrière, sont très loin de cette normalité, même s'ils en partagent certains traits culturels. Mais ils ne peuvent constituer un modèle.

 

Que faire ?

 

HdV

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 15:39

Lors de diverses conversations récentes, en France et à l'étranger (Italie, Portugal, Belgique) ou dans des échanges de messages, une idée intéressante me semble apparaître, à la lumière de ce contexte international et national actuel, que l'on appelle crise et que je crois être simplement la fin de la domination des pays du "premier monde", que l'on appelle souvent "les Occidentaux".

 

En matière d'institutions culturelles, et ici je pense surtout aux musées de toutes sortes, mais cela pourrait s'appliquer aussi bien aux théâtres, aux écoles d'art ou aux bibliothèques, on a pris l'habitude, depuis la création des ministères de la Culture, de considérer qu'elles sont nécessaires, indispensables tant à la conservation du patrimoine qu'à la création artistique, et aussi naturellement aux loisirs et au tourisme. Leur création, leur entretien, leur expansion continue justifient des financements publics (Europe) ou privés (USA), ainsi que des corporations professionnelles en expansion. Il s'agit peut-être d'une idée reçue, qu'il faudrait regarder avec un minimum d'esprit critique.

 

Car qui définit la "nécessité" de ces institutions ? Jusqu'à présent, sauf erreur, ce sont uniquement les administrations et professionnels qui en ont la charge, ainsi que les porte-parole des publics qui les fréquentent, c'est à dire les personnes qui en vivent et celles qui en profitent sans pour autant en payer le coût réel.

 

A partir du moment où des contraintes extérieures à ce petit monde circulaire risquent d'obliger les décideurs budgétaires à regarder de près la question des priorités, donc du nécessaire par rapport au superflu, de nouvelles questions vont sans doute se poser, dont les principales pourraient être les suivantes:

 

Qui est conscient de la nécessité, pour soi-même et pour sa communauté, de chaque institution culturelle, de chaque musée ? Qui est prêt à en payer le coût, que ce soit par une contribution personnelle ou en tant que contribuable ?

 

Jusqu'à présent, les institutions n'ont pas à apporter la preuve de leur utilité (sauf par des bilans statistiques sans signification réelle), puisqu'elles coûtent de toute manière plus cher en investissement et en fonctionnement que ce qu'elles rapportent. C'est caractéristique d'une société riche, en croissance, qui peut se permettre de satisfaire les goûts personnels de ses membres les plus influents.

 

Mais si cette société s'appauvrit, que va-t-il se passer ? Les institutions les plus attractives (grands musées d'art, festivals, par exemple) passeront sans doute dans l'orbite du tourisme qui les financera. Les institutions scientifiques de renom devront être prises en charge par les universités et les centres de recherche spécialisés. Toutes les autres devront choisir entre deux voies:

  • faire payer à leurs usagers le coût réel de leur fréquentation, ce qui entraînera leur privatisation, ne serait-ce que dans le cadre de l'économie sociale;
  • changer leurs orientations, leurs programmations, leurs pratiques, pour apparaître comme rendant un service réel à la société dans son ensemble, et pas seulement à une frange cultivée de celle-ci ou à des publics captifs.

 

Car ce sera alors la demande sociale qui influera sur le politique et qui dira si l'offre lui convient.

 

Quelle devrait en être la conséquence, dès maintenant pour les responsables d'institutions ? A mon sens, ils devraient commencer à réfléchir, de façon participative, sur leurs territoires respectifs, à ce qu'ils peuvent faire pour amener la société qui les entoure à les considérer comme nécessaires, et non plus comme les missionnaires d'une culture supposée supérieure. C'est après tout ce qui fondait la déclaration du séminaire des musées latino-américains, à Santiago du Chili, en mai 1972, il y a bientôt quarante ans.

 

 

 

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16 septembre 2011 5 16 /09 /septembre /2011 14:48

Deux hypothèses, au choix

 

Depuis le début du monde, et en tout cas depuis que je suis l'actualité, toutes les fois qu'un groupe humain rencontre une difficulté, il l'appelle une crise : qu'il s'agisse d'une guerre, d'une inondation, d'une chute des cours en bourse, de l'apparition d'une nouvelle maladie, de conflits au sein d'une famille, c'est le même mot qui est employé.

Dans mon modeste domaine d'activité, en liaison avec le développement des territoires, des politiques locales du patrimoine, des institutions culturelles, on va de crise en crise : les changements d'élus,de fonctionnaires, de législation sont ressentis comme des crises. Le vieillissement des institutions et des leaders locaux, le changement des habitudes de consommation, le fléchissement des flux touristiques, la fermeture d'une usine, même un été pourri ou caniculaire sont prétextes à discours sur "la crise de...".

Or il me semble que l'humanité progresse, malgré les crises, ou peut-être grâce à ces épisodes plus ou moins difficiles à traverser, que l'on nomme crises. En réalité, le monde est en transformation constante et chaque changement, qui inquiète évidemment des populations habituées à un état de choses connu, donc rassurant.

Actuellement, constatons que la vie continue, que malgré la crise les gouvernements gouvernent, bien ou mal, les consommateurs consomment, les riches gagnent de l'argent, les classes moyennes prennent des vacances, les voitures et les camions circulent, les pauvres sont de plus en plus pauvres. Ce qui nous effraye, et que nous appelons crise, c'est que la croissance ne repart pas, que l’État voudrait cesser de s'endetter, que le prix des légumes ou du pain augmente, et tant d'autres choses qui nous semblent aggraver notre situation et compromettre l'avenir. De même le réchauffement climatique, dont chacun de nous est responsable individuellement et collectivement, serait source de crise, sinon pour aujourd'hui, du moins pour après-demain.

Tout cela me paraît normal, même si l'accélération des changements et souvent leur brutalité s'opposent à une jouissance tranquille de petits bonheurs quotidiens. Ou bien même nous privent de ce que nous avions tendance à considérer comme des "droits acquis", certaines libertés, l'ascenseur social garanti à tous, un travail à vie et un code du travail toujours plus protecteur, l'assurance généralisée à tous les accidents de la vie...

Et si, en réalité, il ne s'agissait que d'une capacité culturelle – et peut-être mentale – d'adaptation au changement. Parler de crise est une manière de reporter sur d'autres (les gouvernements, l'Europe, la mondialisation...) sur lesquels nous n'avons aucune prise la responsabilité des difficultés que nous ressentons. Je prétends que l'important est de travailler à s'adapter et à adapter notre environnement – à tous les niveaux, de l'individu à l’État – aux changements qui nous concernent.

Nous devons agir en créateurs de solutions plus qu'en militants revendicatifs, d'autant que nous sommes bien souvent plus ou moins responsables de ce qui nous arrive, ne serait-ce que par nos votes ou par nos comportements. Cela signifie changer nos propres attitudes pour mettre nos modes de vie et nos consommations à la hauteur de ce qui est possible, dans le respect de la vie en société. Cela signifie participer à toute initiative, structure, mouvement collectifs qui visent à imaginer, mettre au point, expérimenter et le cas échéant appliquer des méthodes et des actions qui améliorent cette vie en société. Cela signifie exiger des institutions publiques et privées qu'elles nous aident à nous adapter aux changements qui nous sont imposés d'en haut. Cela signifie aussi utiliser tous les moyens et toutes les occasions qui nous sont données de participer à la décision, et pas seulement par des votes périodiques, qui ne sont que des délégations aveugles de pouvoirs.

Depuis bien des années, je m'occupe de développement local et je tente de promouvoir le principe de la participation des citoyens à la vie culturelle, sociale et politique de leurs territoires. Et je crois, même je sais par expérience, qu'il est possible à chacun d'entre nous, dans un cadre collectif, de la famille, du village ou du quartier, du bureau ou de l'atelier, de l'école ou de l'association, de s'adapter positivement à tous les changements qui semblent le dépasser.


*

Nous pouvons imaginer une autre hypothèse: et si ce que nous appelons crise n'était que le commencement du renversement du sens de ce que nous avons pris l'habitude d’appeler développement, c'est à dire croissance ? Et si nos économies développées, industrialisées, avaient cessé de croître et commencé à décroître, pour longtemps sinon pour toujours ? La crise suppose qu'après un point bas tout remonte plus ou moins vite pour retrouver le sens du parcours d'avant-crise, vers le haut. Je crois qu'il y a une bonne chance (???) pour que ce ne soit plus le cas et nous ayons définitivement abandonné le dernier point haut atteint, pour commencer une descente qui permettra dans le même temps aux pays émergents et à leurs économies de croître, pour finalement nous rejoindre quelque part entre notre plus haut et leur plus bas.

Pourquoi pleurer puisque ces pays dont nous disons depuis longtemps qu'il faut les aider à se développer ne pourront de toute manière jamais rattraper notre niveau de vie actuel, sous peine de faire exploser les ressources de notre planète ?

Alors, que devons-nous faire ? essentiellement préparer nos descendants à la nécessité de s'adapter aux changements qu'ils subiront. Et surtout ne pas les laisser croire à la croissance éternelle. C'est un devoir des familles, des enseignants et des médias, même si les politiques, pour des raisons électoralistes continueront à nous mentir en nous faisant des promesses intenables.

Et aussi, dans l'immédiat, et pendant que nous en sommes encore capables, utiliser les moyens qui nous restent pour agir localement et transformer autant que possible les plans et programmes de développement économique en plans et programmes de développement social, de formation à la survie en milieu hostile, de valorisation de toutes les ressources non encore utilisées: inventer des recettes de topinambour pour les introduire dans les menus des cantines scolaires ne serait pas une mauvaise idée... Le topinambour est bio, pas cher, ne nécessite aucun soin, se reproduit tout seul.

Je ne propose pas ici de "vouloir la décroissance" comme certains idéologues le voudraient. Ce n'est pas sérieux car aucune société n'accepterait d'abandonner de gaîté de cœur ce qu'elle a péniblement gagné. Je voudrais seulement que l'on envisage d'y être contraint par des forces extérieures, donc s'y préparer autant que possible. Rien de plus, rien de moins.

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