Une nouvelle fois, le statut des intermittents est arrivé sur la place publique. Les invectives pleuvent sur le gouvernement et sur les partenaires sociaux, des revendications incompréhensibles sont affirmées comme s'il s'agissait de droits inaliénables, la culture française serait menacée... Plus concrètement, les festivals de l'été pourraient être, tous ou au moins certains d'entre eux, annulés ou perturbés, au grand désespoir des élus locaux et des commerces touristiques. Depuis plus d'un mois, les arguments s'entrechoquent, mais bien peu d'opinions remettent en cause le statut même d'intermittent, qui est une grande "exception culturelle" française et qui garantit aux professionnels (auto-déclarés) des métiers de l'audio-visuel, du loisir et de certains arts (le spectacle vivant en particulier) des indemnités de chômage relativement favorables, selon des conditions qui sont supposées tenir compte du caractère particulier de ces métiers. Le débat actuel porte essentiellement sur des détails de ces conditions et de leur application.
Mais qu'est-ce qu'un intermittent ? C'est en réalité un travailleur indépendant, rémunéré à la prestation, qui a choisi librement son métier et en général ne veut pas le partager avec des fonctions salariées classiques. Ce statut extrêmement favorable bénéficie de la mutualisation avec l'ensemble du régime chômage des travailleurs salariés, mutualisation sans laquelle il n'aurait aucune chance de survivre. Il a entraîné depuis trente ans une explosion du nombre des professionnels concernés et une quasi disparition des pratiques amateurs.
Grâce à lui, le ministère de la Culture et l'ensemble des financeurs publics ou privés des loisirs et des arts en France n'ont pas besoin de rémunérer correctement artistes et techniciens, ni de faire un choix entre bons et mauvais artistes, bons ou mauvais spectacles. Grâce à lui également, ces mêmes artistes et techniciens auto-déclarés se veulent à la fois des créateurs libres et indépendants, couverts par un régime de salariat qui protège la plupart d'entre eux en leur évitant de devenir de réels salariés soumis en permanence à des patrons ou à Pôle-Emploi.
Je sais bien qu'en France un avantage acquis ne peut pas être remis en cause, mais une situation de fait, créée dans une époque de "vaches grasses", risque d'aboutir dans les circonstances actuelles à une catastrophe sociale, si les différents interlocuteurs ne recherchent pas calmement et sérieusement un autre statut et pas simplement des corrections à la marge de textes réglementaires de plus en plus inapplicables. C'est à mon avis une question de survie pour bon nombre d'activités que nous appelons habituellement "culturelles".
Et qu'on ne nous dise pas que la fin du statut d'intermittent, remplacé par d'autres modalités de pratiques professionnelles, serait la mort de la culture en France. De grands artistes existaient et créaient avant l'invention des indemnités de chômage. Heureusement!