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8 septembre 2014 1 08 /09 /septembre /2014 09:12
Pratiques communautaires

Enfin, des gens du terrain qui écrivent sur leurs pratiques et sur ce qu'ils vivent. Des acteurs de la vie sociale et de l'éducation patrimoniale en Rio Grande do Sul (Brésil) ont publié un livre rassemblant leurs expériences et en tirant des leçons et des conséquences. Coordonné par Jean Baptista et Claudia Feijo, il s'intitule:

Práticas Comunitárias e Educativas em Memória e Museologia Social - 1973, Editora da FURG - 175p

Il a eu une bonne diffusion sur les réseaux sociaux au Brésil, mais il mériterait d'être lu et médité bien au delà de ce pays. Voici le texte de ma présentation, en français.

"Je salue l'initiative de l'Universidade Federal do Rio Grande de lancer une collection de textes sur la théorie des pratiques communautaires dans le domaine du patrimoine et des musées. A côté de toute l'immense littérature académique qui existe sur ces sujets, livres, thèses, articles, et qui s'est multipliée depuis vingt ou trente ans, il fallait donner la parole aux praticiens du terrain, à celles et ceux qui agissent au plus près des communautés, et surtout de celles qui sont le moins prises en compte dans les politiques culturelles et patrimoniales traditionnelles.

Ce premier ouvrage propose un échantillon de cas (je connais personnellement certains d'entre eux), qui illustrent parfaitement l'objectif et l'esprit de la collection : analyser et faire connaître des actions et des méthodes qui tentent de répondre aux besoins et aux attentes de trois catégories de communautés du Rio Grande do Sul : les quartiers créés spontanément à la périphérie des grandes concentrations urbaines, les populations afro-brésiliennes et les Quilombos.

La lecture de ces différents chapitres me laisse une impression très forte et confirme mes convictions sur plusieurs thèmes :

  • la créativité des communautés marginales, opprimées ou défavorisées pour inventer des méthodes et des outils de lutte collective pour la défense de leurs droits et la conquête de nouvelles opportunités pour les générations futures ;

  • la valeur de la mémoire et du patrimoine immatériel de ces populations, comme facteurs de conscientisation et de fierté, mais aussi de capacité d'initiative pour la gestion de la vie quotidienne, la relation aux pouvoirs établis et la découverte de nouvelles voies de progrès social et économique ;

  • la nécessité d'une collaboration permanente, étroite et égale entre l'expertise d'usage et l'expertise savante, entre les gens qui vivent les difficultés au quotidien sur les territoires et les chercheurs qui sont capables d'observer ces difficultés, de façon distanciée et analytique ;

  • l'impossibilité de faire appel à des modèles établis et le besoin d'inventer toujours et partout des solutions spécifiques adaptées aux contextes, aux problèmes, aux acteurs des territoires et des communautés, mais aussi l'utilité de partager les expériences, les succès et les échecs ;

  • le rôle fondamental des personnes, des leaders communautaires qui portent les projets et qui sont capables de mobiliser largement les populations, dont ce livre présente une galerie de portraits particulièrement remarquables ;

  • les effets positifs et multiples de la coopération entre l'université et les communautés, dans le cadre des programmes d'extension : offre aux communautés de moyens de travail humains et matériels, opportunités pour les étudiants d'apprentissage de l'action collective dans les milieux populaires, rencontre entre cultures et langages différents, éveil des futurs cadres aux problèmes sociaux les plus brûlants, etc.

Concernant le patrimoine, la focalisation sur la mémoire est un trait caractéristique du Brésil actuel, encore renforcé par le succès du programme des "Pontos de Memória". Il est en effet évident que les communautés auxquelles on donne ici la parole n'ont guère de patrimoine matériel susceptible de nourrir leur fierté et d'être des ressources pour le développement. Par contre leurs mémoires, leurs histoires, leurs savoirs sont l'essentiel de leur capital culturel et social, par lequel ils se distinguent d'autres communautés pour affirmer leurs valeurs, leur autonomie, leur liberté de décider de leur avenir.

C'est d'ailleurs ce qui me frappe le plus dans ces textes : il n'y a pas de culte du passé, mais il s'agit toujours, d'une manière ou d'une autre, de construire ensemble, à partir de la mémoire et du patrimoine, une base solide pour construire l'avenir. Et c'est là que le mot de musée, utilisé sous une grande variété de formes non conventionnelles (écomusée, musée communautaire, centre de mémoire, musée de parcours, musée de rue), recouvre des réalités vivantes et mouvantes, qui n'ont rien à voir avec les musées traditionnels, dépositaires de choses mortes. Nous sommes là, non pas dans une "nouvelle" muséologie, qui moderniserait l'ancienne, mais dans une "autre" muséologie que ces communautés inventent progressivement au service de leur fierté.

Plusieurs chapitres mettent en avant la filiation de ces aventures avec notre maître à tous, Paulo Freire, en appliquant ses principes et ses méthodes au champ du patrimoine. On devine, à travers ces histoires de communautés, toute une société brésilienne éloignée de la culture et du patrimoine des classes supérieures, transmis/imposés par les institutions d'éducation bancaire et par des musées-banques d'objets et d’œuvres d'art. Cette société qui lutte est porteuse d'une culture vivante formidablement dynamique qui se nourrit de ses mémoires multiples et qui paraît à l'européen fatigué que je suis la meilleure chance d'une des grandes puissances d’aujourd’hui et surtout de demain.

Grâce à ce livre, le Rio Grande do Sul va apparaître, très justement, comme un laboratoire coopératif au service de toutes ces communautés en lutte, à travers le Brésil et ailleurs.

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