Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 septembre 2019 1 09 /09 /septembre /2019 14:46

A ce que j'ai pu en apprendre de diverses sources, le débat qui s'est instauré sur une nouvelle définition du musée, pendant les quelques semaines qui ont précédé l'Assemblée générale de l'ICOM À Kyoto le 7 septembre 2019, a été vif et intense. Le texte soumis à discussion était certainement critiquable dans le fond et surtout dans la forme. Son élaboration a paru trop rapide et manquer de concertation. La décision qui a été finalement prise, de reporter la décision sur un texte qu'il convient de rediscuter, me paraît sage.

Je trouve ce débat passionnant et le vétéran que je suis a connu un processus très semblable, auquel j'ai personnellement participé, avant, pendant et après la Conférence générale de l'ICOM de 1971. Dans les deux cas, on est devant un besoin de changement, qui est exprimé, parfois fortement, par un groupe peut-être minoritaire mais aussi plus déterminé et plus dynamique que la masse des membres d'une organisation internationale dont la culture est généralement plus orientée vers la conservation des acquis (les collections) que vers la prise de risques (l'insertion dans la société).

Apparemment, nous nous trouvons devant un "mouvement" assez spontané, qui se qualifie sans doute de progressiste, et qui veut par un seul grand coup commencer à changer le musée, en commençant par sa définition, car c'est la seule chose que l'on puisse changer tout de suite. Il faudra ensuite changer des milliers d'institutions, souvent publiques, dans un grand nombre de pays et cela prendra des années et sans doute des formes très diverses qui devront tenir compte de résistances inévitables. Pour ne prendre qu'un exemple partiel, la célèbre Table Ronde de Santiago, en 1972, qui voulait susciter dans les musées d'Amérique Latine un changement très radical, a fait l'objet d'un constat d'échec relatif en 1992 à Caracas, et n'a en fait trouvé un milieu muséal vraiment favorable que dans les années 2000.

L'analyse des débats et des votes à Kyoto sera extrêmement intéressante et il est trop tôt évidemment, surtout pour les gens comme moi qui sont à l'extérieur de la profession muséale, pour tirer des conséquences ou des leçons de ce qui apparaîtra sans doute comme la toute première phase d'un processus de gestation, non pas seulement d'une simple définition, mais aussi d'une évolution plus ou moins rapide du musée et de la muséologie.

Provisoirement, et pour commencer dès maintenant à apporter une première pierre à la discussion, je poserais comme hypothèse de travail qu'existeraient de fait deux groupes qui se seraient alliés pour l'occasion et qui chercheraient à faire approuver cette nouvelle définition, même s'ils ne sont pas d'accord sur certains points essentiels. Ces groupes ne sont pas forcément organisés et toute cette affaire n'est pas un complot, mais le fruit de deux évolutions parallèles

Un premier groupe serait fait de professionnels de musées (surtout occidentaux ou de culture occidentale) qui se sentent frustrés de ne pas pouvoir changer leurs propres institutions et qui, influencés par le discours et certaines pratiques de la Nouvelle muséologie héritée de Grenoble 1971, de Santiago 1972 ou du Creusot années 70, et aussi par ce que l'on appelle maintenant l'écomuséologie, utilisent un vocabulaire et des concepts actuels pour tenter d'orienter l'avenir de leurs musées. Il s'agit, sans le dire trop clairement, de briser le plus possible les anciennes théories et les anciennes pratiques représentées par la vieille définition, qui a le défaut à leurs yeux de n'avoir pas su accompagner l'évolution de la société.

Un autre groupe serait fait de professionnels non occidentaux qui sont, depuis les années 60 et la décolonisation, à la recherche de muséologies nationales, ou vernaculaires, libérées de la dictature de l'art, des disciplines académiques et des théories muséologiques euro-américaines; pour ceux-là la vieille définition a d'abord le défaut d'avoir été imposée par des occidentaux et nourrie par la tradition des grands musées d'art. On peut en trouver de premières manifestations dans la Table Ronde de Santiago (1972), dans la déclaration de Guwahati (1988), dans l'émergence des réseaux de musées communautaires et autochtones notamment au Mexique, au Canada et au Brésil (depuis 1994), dans l'apparition des banques culturelles en Afrique de l'Ouest (depuis 1997), etc.

Je crains que les avis, pourtant très justes et argumentés, donnés par des professionnels reconnus, mais surtout occidentaux et appartenant à des générations issues du moule de la muséologie traditionnelle, ne puissent guère lutter contre ces tendances divergentes. Ils apparaissent comme défendant une vision du musée à la fois élitiste et impérialiste. J'ai peut-être complètement tort et je n'ai pas la première preuve documentaire ou statistique de ce que j'avance… Je m'appuie à la fois sur le souvenir du mouvement analogue, mais encore très occidental, des années 1970, et sur de nombreuses discussions sur le terrain, échanges de correspondance et écoute de débats collectifs pendant ces vingt dernières années.

Je crois cependant que, quelque soit le résultat des travaux qui vont commencer à la suite de la décision de Kyoto, nous sommes partis pour des années de réflexions, d'expérimentation, de luttes et d'efforts sur ces deux pistes. Le texte proposé à Kyoto va rester, pendant au moins un an, un document de travail qui servira de punching ball aux principaux animateurs de ces mouvements et aux instances nationales et internationales, au sein de l'ICOM. La vraie question est de savoir si celui-ci saura jouer son rôle de médiateur et d'arbitre. Actuellement, je sais que quelques milliers de musées locaux, écomusées et musées communautaires pratiquent déjà à travers le monde, sans discours inutiles, sur le terrain, les ambitions mal exprimées dans le projet de définition, presque sans y être aidés que ce soit par l'ICOM ou par les pouvoirs publics nationaux. On pourrait peut-être commencer par les reconnaître et les faire connaître, comme l'ont fait à leur manière l'Institut National d'Anthropologie et d'Histoire du Mexique et douze régions italiennes. L'UNESCO, puis l'ICOM avec la revue Museum ont attiré de temps à autre l'attention sur des cas exemplaires, que beaucoup considèrent sans doute comme "hérétiques". Des pays ont tenté, souvent assez naïvement, de définir un "musée pour le XXIème siècle"…

Autre élément qu'il est intéressant de signaler ici. Le débat en cours sur la restitution d'objets arrachés à leurs cultures d'origine pendant la période coloniale oppose deux manières d'interpréter le droit de propriété, celui du collectionneur (notamment le musée) et celui de l'héritier collectif. On retrouve là, me semble-t-il, sur un thème distinct mais lié, les deux voies dont je parlais plus haut.

Je crois qu'il faudra que l'ensemble de la profession travaille pendant au moins vingt ans sur ces deux voies d'une future muséologie plurielle, plus que sur une définition qui restera toujours trop normative pour satisfaire la diversité des situations nationales et locales. Et il faudra aussi que les musées eux-mêmes se transforment, à leur rythme mais en profondeur et pas seulement dans le discours, grâce au dynamisme et au réalisme de leurs responsables.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires