Tout le monde maintenant parle de participation et il est vrai que l'évolution des théories et des pratiques de nos démocraties, surtout à l'échelle des territoires, rend l'engagement et l'implication des citoyens dans la solution des problèmes qui les concernent directement, non seulement souhaitable, mais aussi et surtout indispensable si l'on recherche à la fois non pas l'efficacité immédiate mais l'utilité sociale et la soutenabilité à long terme des projets et des actions qui contribuent à la qualité de l'environnement et de la vie de chacun d'entre nous et de nos communautés de proximité.
Des expériences anciennes et d'autres très récentes m'ont amené à réfléchir à la manière dont cette participation, lorsqu'elle est au moins partiellement obtenue, est reconnue et récompensée à sa juste valeur. Certes, on ne manquera pas dans des discours ou des rapports de décrire le degré de participation obtenue, d'en féliciter les acteurs et d'en signaler les effets sur les résultats constatés. Mais ce sont généralement les porteurs de projets, les autorités responsables, les financeurs publics ou privés qui attireront à eux l'essentiel de la lumière, à travers par exemple une inauguration, l'apposition d'une plaque, un communiqué de presse, une exposition et naturellement des publications, scientifiques ou de vulgarisation.
Il est plus rare que des individus, membres de la population, qui ont été associés au projet, qui ont apporté des connaissances ou des savoirs-faire, qui ont contribué manuellement ou intellectuellement, parfois même qui ont été à l'origine de l'action ou déterminants dans son succès, reçoivent en retour le bénéfice social et l'effet d'image qu'ils seraient en droit d'attendre, comme une sorte de droit-d'auteur non financier.
Il y a longtemps que j'ai constaté cette absence de reconnaissance publique, notamment de la part de certains anthropologues, collecteurs d'objets, de musiques, de traditions, preneurs d'images ou de films, qui n'auraient pu rien faire sans des informateurs, des érudits locaux, des musiciens ou des chanteurs, etc. Ils vont publier des articles, des livres, des disques, soutenir des thèses, qui leur assureront la notoriété et faciliteront leurs carrières, mais celles et ceux qui les auront aidés, à part quelques sous si ce sont des "indigènes", ou leurs noms dans des listes en annexe, n'auront que le statut d'informateurs.
Plus récemment, j'ai assisté à la présentation d'une exposition qui relatait une découverte archéologique importante, faite par hasard par deux habitants qui avaient ensuite participé à son étude et à sa mise en valeur, en particulier par des photographies qui avaient rendu possible l'exposition elle-même. Il semblait que, la découverte une fois faite, ses inventeurs n'étaient plus utiles et laissaient toute la place aux spécialistes qui étudiaient et aux politiques qui inauguraient.
Cela m'a rappelé une expérience vécue à l'écomusée du Creusot-Montceau, à la fin des années 1970. Devenu célèbre en France et à l'étranger comme opération innovante et nettement participative, il a attiré de nombreuses équipes de chercheurs universitaires qui trouvaient sur ce territoire une grande richesse pour leurs programmes de recherche ou leurs thèses et qui obtenaient en outre le soutien matériel de l'écomusée et de son personnel, mais surtout un accès au réseau considérable des habitants qui avaient accepté d'apporter leurs mémoires vivantes, leurs savoirs, leurs biens culturels personnels aux activités de leur écomusée. On avait voulu établir un règlement spécial pour les chercheurs, pour encadrer leurs pratiques et les publications qui en résulteraient, dont l'une des clauses principales précisait que les habitants qui auraient participé aux recherches devraient être non seulement consultés sur les textes produits avant publication, mais surtout considérés et reconnus comme co-auteurs (et non pas comme de simples informateurs anonymes). Cette clause n'a jamais été ni comprise, ni respectée par les chercheurs, malgré une première réunion expérimentale très décevante, en 1977, dédiée à l'examen et à la discussion par des groupes d'habitants volontaires des premiers résultats des recherches en cours.
Je crois que l'on peut parler de discrimination : la valeur des savoirs des gens "ordinaires", de leurs compétences professionnelles, de leur mémoire, n'est pas reconnue à égalité avec celle des savoirs académiques. Et surtout, ces gens ordinaires ne sont pas supposés intervenir dans la rédaction finale des articles ou des thèses dont ils ont donné au moins une partie de la matière et parfois même l'essentiel du sens.
Cette question d'un droit d'auteur partagé, ou d'un statut de co-auteur, ne relève sans doute pas (ou pas encore) d'une réglementation quelconque, mais je pense qu'elle devrait faire partie de la déontologie du travail scientifique et des pratiques éditoriales, cela d'autant plus que les co-auteurs non-académiques seraient ainsi obligés à une plus grande rigueur dans leurs contributions, tandis que les co-auteurs académiques devraient se plier à un contrôle d'exactitude sur leurs propres interprétations et conclusions.
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